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Un Prix de Courage
Morgan Rice


L'anneau Du Sorcier #6
Dans UN PRIX DE COURAGE (Tome 6 de L’anneau du Sorcier), Thor poursuit sa quête qui le mène plus loin encore dans l’Empire, pour retrouver l’Épée de Destinée volée et ainsi sauver l’Anneau. Comme une tragédie ampute d’un de ses membres le groupe qu’il forme avec ses compagnons, les rescapés, plus proches que jamais, apprennent à affronter ensemble l’adversité. Leur voyage les emporte dans des paysages nouveaux et exotiques : les Champs de Sel, le Grand Tunnel et les Montagnes de Feu. À chaque tournant, ils devront affronter toutes sortes de monstres inattendus. Les talents de Thor s’affirment au cours d’un entraînement particulièrement difficile et il devra apprendre à utiliser des pouvoirs plus puissants que jamais s’il veut survivre. Les compagnons découvrent enfin où l’Épée se trouve : pour la retrouver, ils devront s’aventurer dans la région la plus terrifiante de l’Empire : le Pays des Dragons. Du côté de l’Anneau, Gwendolyn se remet lentement de son agression et lutte contre une profonde dépression. Kendrick et ses compagnons jurent de défendre son honneur, même si leurs chances d’y parvenir sont faibles. S’ensuit une des plus grandes batailles de l’histoire de l’Anneau, alors qu’ils se battent pour libérer Silesia et vaincre Andronicus. Pendant ce temps, Godfrey se retrouve incognito derrière les lignes ennemies et commence à s’épanouir, en apprenant ce qu’être un guerrier signifie d’une façon unique. Gareth se débrouille pour rester en vie, en mettant à profit toute sa ruse pour échapper à une capture de Andronicus. Erec se bat avec sa vie pour sauver Savaria de l’invasion imminente de l’Empire – et l’amour de sa vie, Alistair. Argon paye un terrible prix pour avoir transgressé une règle sacrée en se mêlant des affaires humaines. Gwendolyn doit décider entre abandonner sa propre vie ou choisir une existence de nonne recluse dans l’ancienne Tour d’Asile. Mais pas avant qu’un incroyable rebondissement n’apprenne à Thor l’identité de son véritable père. Thor et ses compagnons survivront-ils à cette quête ? Retrouveront-ils l’Épée de Destinée ? L’Anneau se relèvera-t-il de l’invasion de Andronicus ? Quel sort attend Gwendolyn, Kendrick et Erec ? Et qui est le véritable père de Thor ? Entre univers sophistiqué et personnages bien construits, UN PRIX DE COURAGE est un conte épique qui parle d’amis et d’amants, de rivaux et de prétendants, de chevaliers et de dragons, d’intrigues et de machinations politiques, de jeunes gens qui deviennent adultes, de cœurs brisés, de tromperie, d’ambition et de trahison. C’est un conte sur l’honneur et le courage, sur le destin et la sorcellerie. C’est un roman de fantasy qui nous entraîne dans un monde que nous n’oublierons jamais et qui plaira à toutes les tranches d’âge et tous les lecteurs. Le livre compte 70 000 mots.





Morgan Rice

UN   PRIX   DE   COURAGE TOME 6 de l’ANNEAU DU SORCIER




ГЂ propos de Morgan Rice

Morgan Rice est l'auteur à succès n 1 et l'auteur à succès chez USA Aujourd'hui de la série d'épopées fantastiques L'ANNEAU DU SORCIER, qui contient dix-sept tomes, de la série à succès n 1 SOUVENIRS D'UNE VAMPIRE, qui contient onze tomes (pour l'instant), de la série à succès n 1 LA TRILOGIE DES RESCAPÉS, thriller post-apocalyptique qui contient deux tomes (pour l'instant) et de la nouvelle série d'épopées fantastiques ROIS ET SORCIERS. Les livres de Morgan sont disponibles en édition audio et papier, et des traductions sont disponibles en plus de 25 langues.

Morgan adore recevoir de vos nouvelles, donc, n'hГ©sitez pas Г  visiter www.morganricebooks.com pour vous inscrire sur la liste de distribution, recevoir un livre gratuit, recevoir des cadeaux gratuits, tГ©lГ©charger l'appli gratuite, lire les derniГЁres nouvelles exclusives, vous connecter Г  Facebook et Г  Twitter, et rester en contact !



Quelques acclamations pour l’œuvre de Morgan Rice

« L'ANNEAU DU SORCIER a tous les ingrédients d'un succès immédiat : des intrigues, des contre-intrigues, du mystère, de vaillants chevaliers et des relations qui s’épanouissent entre les cœurs brisés, les tromperies et les trahisons. Ce roman vous occupera pendant des heures et satisfera toutes les tranches d'âge. À ajouter de façon permanente à la bibliothèque de tout bon lecteur de fantasy. »

–-Books and Movie Reviews, Roberto Mattos



« Rice a le talent d’emporter son lecteur dans l’histoire dès le début, en faisait preuve de grandes qualités de description qui transcendent la simple représentation du décor… Très bien écrit et très vite lu.”

–-Black Lagoon Reviews (à propos de Transformation)



« L’histoire idéale pour les jeunes lecteurs. Morgan Rice prépare ses rebondissements avec talent… Rafraîchissant et unique. L’histoire se focalise sur une fille… une fille extraordinaire ! Facile à lire mais palpitant… Accord parental souhaitable. »

–-The Romance Reviews (à propos de Transformation)



« A retenu mon attention dès le début et ne l’a pas lâchée… Cette histoire est une aventure incroyable au rythme palpitant et pleine d’action dès le premier chapitre. Il n’y a pas de temps morts. »

–-Paranormal Romance Guild (à propos de Transformation)



« Regorge d’action, de romance et de suspense. Procurez-vous un exemplaire et tombez amoureux une fois encore. »

–-vampirebooksite.com (à propos de Transformation)



« Une excellente intrigue et typiquement le genre de livre que vous aurez du mal à poser le soir. La fin est un cliffhanger tellement spectaculaire que vous voudrez immédiatement acheter le prochain livre, juste pour savoir la suite. »

–-The Dallas Examiner (à propos de Adoration)



« Un livre qui rivalise avec TWILIGHT et THE VAMPIRE DIARIES et qui vous donnera envie de lire jusqu’à la toute dernière page ! Si vous aimez l’aventure, l’amour et les vampires, ce livre est pour vous ! »

–-Vampirebooksite.com (à propos de Transformation)



« Morgan Rice prouve une fois encore qu’elle est un auteur extrêmement talentueux… Cette histoire va plaire à un large public, y compris aux jeunes fans du genre vampire/fantasy. Elle se termine de façon inattendue sur un cliffhanger qui vous laissera en état de choc. »

–-The Romance Reviews (à propos de Adoration)



Du mГЄme auteur




ROIS ET SORCIERS


LE RÉVEIL DES DRAGONS (Tome # 1)


LE RÉVEIL DU VAILLANT (Tome # 2)




L'ANNEAU DU SORCIER


LA QUГЉTE DES HEROS (Tome n 1)


LA MARCHE DES ROIS (Tome n 2)


LE DESTIN DES DRAGONS (Tome n 3)


UN CRI D'HONNEUR (Tome n 4)


UNE PROMESSE DE GLOIRE (Tome n 5)


UN PRIX DE COURAGE (Tome n 6)


UN RITE D'ÉPÉES (Tome n 7)


UNE CONCESSION D'ARMES (Tome n 8)


UN CIEL DE CHARMES (Tome n 9)


UNE MER DE BOUCLIERS (Tome n 10)


LE RГ€GNE DE L'ACIER (Tome n 11)


UNE TERRE DE FEU (Tome n 12)


LE RГ€GNE DES REINES (Tome n 13)


LE SERMENT DES FRГ€RES (Tome n 14)


UN RГЉVE DE MORTELS (Tome n 15)


UNE JOUTE DE CHEVALIERS (Tome n 16)


LE DON DU COMBAT (Tome n 17)




LA TRILOGIE DES RESCAPES


ARENE UN: SLAVERSUNNERS (Tome n 1)


ARENE DEUX (Tome n 2)




MEMOIRES D’UN VAMPIRE


TRANSFORMATION (Livre 1)


ADORATION (Livre 2)


TRAHISON (Livre 3)


PRÉDESTINATION (Livre 4)


DÉSIR (Tome n 5)


FIANÇAILLES (Tome n 6)


SERMENT(Tome n 7)


TROUVÉE (Tome n 8)


RENÉE (Tome n 9)


ARDEMMENT DÉSIRÉE (Tome n 10)


SOUMISE AU DESTIN (Tome n 11)












Écoutez L’ANNEAU DU SORCIER en format audio !


Copyright В© 2013 par Morgan Rice

Tous droits rГ©servГ©s. Sauf dГ©rogations autorisГ©es par la Loi des Г‰tats-Unis sur le droit d'auteur de 1976, aucune partie de cette publication ne peut ГЄtre reproduite, distribuГ©e ou transmise sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen que ce soit, ou stockГ©e dans une base de donnГ©es ou systГЁme de rГ©cupГ©ration, sans l'autorisation prГ©alable de l'auteur.

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Il s'agit d'une Е“uvre de fiction. Les noms, les personnages, les entreprises, les organisations, les lieux, les Г©vГ©nements et les incidents sont le fruit de l'imagination de l'auteur ou sont utilisГ©s dans un but fictionnel. Toute ressemblance avec des personnes rГ©elles, vivantes ou mortes, n'est que pure coГЇncidence.

Image de couverture : Copyright Sergii Votit, utilisГ©e en vertu d'une licence accordГ©e par Shutterstock.com.


« Les poltrons meurent plusieurs fois avant leur mort.
Le vaillant ne goûte jamais à la mort qu’une fois. »

В В В В --William Shakespeare
В В В В Jules CГ©sar






CHAPITRE UN


Gwendolyn gisait dans l’herbe, face contre terre. Elle sentait la bise froide de l’hiver piquer sa peau nue. Ses paupières s’ouvrirent lentement et elle commença à distinguer de nouveau le monde autour d’elle. Elle s’était retrouvée loin, très loin, dans un champ débordant de fleurs et de lumière, aux côtés de Thor et de son père. Tous souriaient et étaient heureux. Tout avait semblé parfait dans ce monde.

À présent, comme elle ouvrait les yeux, l’endroit où elle se trouvait réellement n’aurait pas pu être plus différent. Le sol était dur, froid et celui qui se tenait devant elle et se relevait lentement, ce n’était pas son père, ni Thor, mais un monstre : McCloud. Après en avoir terminé avec elle, il se leva lentement, boucla sa ceinture et la toisa d’un air satisfait.

En un éclair, tout revint à Gwen. Sa reddition à Andronicus. Il l’avait trahie. Il l’avait jetée en pâture à McCloud. Elle s’empourpra en songeant combien elle avait été naïve.

Г‰tendue, endolorie, le cЕ“ur en miettes, elle souhaita plus que tout mourir.

Gwendolyn ouvrit les yeux un peu plus et vit l’armée de Andronicus, des soldats par vingtaine, tous regardant la scène, et son sentiment de honte ne fit que croître. Elle n’aurait jamais dû céder à cette créature. Elle aurait préféré, finalement, mourir au combat. Elle aurait dû écouter Kendrick et ses compagnons. Andronicus avait parlé à son instinct sacrificiel, il en avait joué et elle était tombée dans le piège. Il aurait mieux valu qu’elle le rencontre au milieu de la bataille : elle en serait peut-être morte, mais elle serait partie avec dignité et son honneur sans tache.

Gwendolyn sut avec certitude, pour la première fois de sa vie, qu’elle était sur le point de quitter ce monde. Pourtant, cette idée ne la dérangeait plus. Elle ne se souciait plus de mourir. Elle voulait simplement mourir à sa façon et, pour cela, elle n’était pas encore prête.

Г‰tendue sur le sol, Gwendolyn tendit furtivement la main pour attraper une poignГ©e de terre.

– Tu peux te relever, femme, ordonna McCloud d’un ton bourru. J’en ai fini avec toi. Je laisse ma place à d’autres.

Gwen serra la terre dans son poing, si fort que ses articulations blanchirent. Elle pria pour que son plan fonctionne.

D’un geste vif, elle se retourna et jeta la poignée de terre dans les yeux de McCloud.

Il ne s’y attendait pas. Il poussa un cri et tituba, levant ses mains pour chasser la poussière de ses yeux.

Gwen en profita. Élevée au Château du Roi, elle avait reçu l’instruction des guerriers de son père. Ils lui avaient toujours dit d’attaquer une seconde fois avant que l’ennemi n’ait eu le temps de reprendre ses esprits. Ils lui avaient également appris une leçon qu’elle n’oublierait jamais : qu’elle porte une arme ou non, elle était en réalité toujours armée. Elle pouvait utiliser l’arme de son ennemi.

Gwen tendit le bras, tira la dague à la ceinture de McCloud, l’éleva et la plongea entre les jambes de son ennemi.

McCloud poussa un cri encore plus terrible. Ses mains quittГЁrent son visage pour agripper dГ©sespГ©rГ©ment son entrejambe. Le sang coula Г  flot entre ses cuisses quand il retira la dague, haletant.

Elle se réjouit d’avoir atteint sa cible, d’avoir au moins cette petite vengeance. Cependant, à sa grande surprise, la blessure, qui aurait abattu n’importe qui, ne le ralentit pas. Impossible d’arrêter ce monstre ! Elle l’avait sévèrement touché à l’endroit qui le méritait, mais elle ne l’avait pas tué. Il n’était même pas tombé à genoux.

Au lieu de cela, McCloud retira la dague sanguinolente et la toisa, la mort au fond des yeux. Il allait se jeter sur elle, en brandissant la dague entre ses mains tremblantes, et Gwendolyn sut qu’elle allait mourir. Au moins, elle mourait avec un peu de satisfaction.

– Je vais t’arracher le cœur et te le faire bouffer, dit-il. Prépare-toi : tu vas connaître la vraie douleur.

Gwendolyn se tendit comme un arc comme la dague filait vers elle, prГЄte Г  rencontrer une mort violente.

Un cri s’éleva soudain. Après un instant de surprise, Gwendolyn se rendit compte avec stupéfaction que ce hurlement de douleur n’était pas venu d’elle. C’était McCloud. Il était à l’agonie.

Gwen jeta un coup d’œil derrière ses bras recroquevillés devant son visage. McCloud avait lâché son arme. Elle cligna des yeux plusieurs fois en essayant de comprendre ce qui se passait.

Une flèche transperçait l’œil de McCloud. Il poussa un hurlement strident, comme le sang jaillissait de l’orbite, et arracha le projectile d’un coup sec. Elle ne comprenait pas. Quelqu’un lui avait tiré dessus. Mais comment ? Qui ?

Gwen se tourna de l’autre côté, vers le tireur, et son cœur se serra à la vue de Steffen, debout, un arc entre les mains, dissimulé derrière un groupe de soldats. Avant que quiconque n’ait eu le temps de réagir, Steffen décocha six flèches supplémentaires. Un par un, les six soldats qui se tenaient près de McCloud basculèrent, la gorge transpercée de part en part.

Steffen tendit la main vers son carquois pour tirer à nouveau mais quelqu’un finit par le repérer. Un groupe de soldats se jeta sur lui, avant de le maîtriser et le rouer de coups.

McCloud, qui hurlait toujours, partit en courant dans la foule. Étonnamment, il n’était toujours pas mort. Elle espéra qu’il se viderait de son sang.

La reconnaissance de Gwen à l’égard de Steffen menaçait de faire éclater son cœur. Elle savait qu’elle mourrait ici de la main d’un homme mais, au moins, ce ne serait plus de la main de McCloud.

Un silence tomba sur le camp de soldats quand Andronicus se leva et marcha lentement vers Gwendolyn. Elle resta étendue et le regarda s’approcher. Il semblait incroyablement grand, comme une montagne marchant vers elle. Des soldats le suivirent et un silence de mort s’abattit sur les rangs des soldats. Seul se faisait entendre le sifflement du vent.

Andronicus s’arrêta à quelques pas, dominant Gwendolyn de toute sa hauteur, le visage inexpressif. Il leva lentement la main pour jouer avec les têtes réduites autour de son cou et un son étrange surgit des profondeurs de sa poitrine et de sa gorge, comme un ronronnement. Il semblait à la fois agacé et intrigué.

– Tu défies le grand Andronicus, dit-il lentement.

Le camp Г©tait suspendu Г  ses lГЁvres et Г  sa voix ancienne et profonde, qui rГ©sonnait avec autoritГ© Г  travers les plaines.

– Tu aurais dû te soumettre à ton châtiment. Cela aurait été plus facile pour toi. Maintenant, tu vas devoir apprendre ce que c’est que la vraie douleur.

Andronicus tira alors l’épée la plus longue de Gwen ait jamais vue. Elle faisait bien deux mètres et demi de long et le chuintement caractéristique de la lame quittant le fourreau résonna sur le champ de bataille. Il la leva au-dessus de sa tête, la fit tourner sous les rayons du soleil et la lame refléta la lumière d’une façon si éclatante que Gwen en fut presque aveuglée. Il l’examina et la tourna entre ses mains, comme s’il la voyait pour la première fois.

– Tu es une femme de haute naissance, dit-il. Il est juste que tu sois tué par une noble épée.

Andronicus fit deux pas en avant, saisit la poignée à deux mains et leva l’épée plus haut encore.

Gwendolyn ferma les yeux, à l’écoute du sifflement du vent et du mouvement des brins d’herbe. Des souvenirs disparates de sa vie lui revinrent brusquement. Elle ressentit au fond d’elle tous ceux qu’elle aimait, tout ce qu’elle avait fait et la plénitude de sa vie. Enfin, elle pensa à Thor. Elle porta la main à son cou, saisit l’amulette qu’il lui avait donnée et la serra dans son poing fermé. Elle pouvait sentir le pouvoir qui émanait de cette ancienne pierre rouge et se rappela les mots de Thor : cette amulette peut sauver ta vie. Une seule fois.

Elle la serra plus fort encore, la sentit palpiter contre sa paume, et pria Dieu avec toutes les fibres de son ГЄtre.

S’il te plaît, Dieu, fais que cette amulette marche. S’il te plaît, sauve-moi, juste cette fois. Laisse-moi voir Thor encore une fois.

Gwendolyn ouvrit les yeux, en s’attendant à voir l’épée de Andronicus fondre sur elle. Ce qu’elle vit vraiment la stupéfia. Andronicus se tenait debout comme pétrifié et regardait par-dessus l’épaule de Gwen, comme si quelqu’un s’approchait. Il semblait surpris, même perdu, et ce n’était pas l’expression qu’elle s’attendait à lire sur son visage.

– Tu vas baisser ton arme, maintenant, dit une voix derrière Gwendolyn.

Elle se sentit électrisée par le timbre de cette voix. C’était une voix qu’elle connaissait. Elle se retourna. À sa grande stupéfaction, celui qui se tenait là était l’homme qu’elle connaissait aussi bien que son propre père.

Argon.

Il était vêtu de sa robe blanche, la capuche rabattue sur le front, ses yeux brillant avec plus d’intensité que jamais et fixés sur Andronicus. Steffen et Gwendolyn gisaient par terre entre ces deux géants, deux créatures d’une incroyable force, l’une venue des ténèbres et l’autre de la lumière, montées l’une contre l’autre. Gwen sentait presque qu’une guerre spirituelle faisait rage au-dessus de sa tête.

– Vraiment ? dit Andronicus avec un sourire moqueur.

Mais Gwen vit ses lèvres trembler et, pour la première fois, aperçut dans le regard de Andronicus quelque chose qui ressemblait à la peur. Elle n’aurait jamais imaginé… Andronicus connaissait probablement Argon. Et ce qu’il savait de lui suffisait à effrayer l’homme le plus puissant du monde.

– Tu ne feras pas de mal à la fille, dit-il calmement. Tu vas accepter sa reddition, ajouta-t-il en faisant un pas en avant, les yeux brillants comme pour hypnotiser son interlocuteur. Tu vas la laisser retourner auprès de son peuple et tu laisseras son peuple capituler s’il le souhaite. Je ne te le demanderai qu’une seule fois. Tu serais sage d’accepter.

Andronicus renvoya Г  Argon son regard, cligna des yeux plusieurs fois, comme indГ©cis.

Enfin, il renversa la tête et éclata de rire. C’était le rire le plus fort et le plus sinistre que Gwen ait jamais entendu. Il emplit tout le camp et sembla s’élever jusqu’au ciel.

– Tes tours de sorcier ne marchent pas sur moi, vieil homme, dit Andronicus. Je connais le Grand Argon. Tu as été puissant, fut un temps, plus puissant que les hommes, plus puissant que les dragons, plus puissant que le ciel lui-même. C’est ce que l’on raconte, du moins. Mais ton temps a passé. C’est une nouvelle ère : l’ère du Grand Andronicus. Tu n’es plus qu’une relique, un résidu du passé, du temps où les MacGils régnaient, du temps où la magie était forte. Quand l’Anneau était impénétrable. Mais ton destin est lié à l’Anneau et, à présent, l’Anneau est faible. Tout comme toi. Tu es sot de m’affronter, vieil homme. Maintenant, tu vas souffrir, tu vas connaître la force du Grand Andronicus.

Andronicus ricana et leva Г  nouveau son Г©pГ©e en direction de Gwendolyn. Cette fois, il regardait Argon droit dans les yeux.

– Je vais tuer cette fille lentement sous tes yeux, dit Andronicus. Puis je vais tuer le bossu. Puis je vais t’estropier et te laisser en vie pour que tu sois le symbole vivant de ma grandeur.

Gwendolyn se prГ©para et se recroquevilla quand Andronicus abattit la lame sur sa tГЄte.

Soudain, quelque chose se passa. Un bruit perça l’air comme le craquement d’un millier de feux. Il fut suivi par le hurlement de Andronicus.

Elle ouvrit les yeux, stupéfaite, et vit son bourreau se tordre de douleur puis lâcher son épée et tomber à genoux. Argon fit un pas en avant, puis un autre. Sa main tendue brillait d’une lueur violette. La lumière enveloppa Andronicus et Argon continuait d’avancer, le visage inexpressif, toujours plus près de son adversaire.

Andronicus se recroquevilla et se roula en boule sur le sol comme la lumiГЁre le recouvrait.

Des hoquets se firent entendre parmi ses hommes mais aucun n’osa intervenir, soit parce qu’ils avaient peur, soit parce que Argon les retenait prisonniers d’un sortilège d’impuissance.

– ARRÊTEZ ÇA ! cria Andronicus en se bouchant les oreilles. JE VOUS EN SUPPLIE !

– Tu ne feras plus de mal à la fille, dit lentement Argon.

– Je ne ferai plus de mal à la fille ! répéta Andronicus, comme en transe.

– Tu vas la relâcher et la laisser rejoindre son peuple.

– Je vais la relâcher et la laisser rejoindre son peuple !

– Tu donneras à son peuple la possibilité de capituler.

– Je donnerai à son peuple la possibilité de capituler ! cria Andronicus. S’il vous plaît ! Je ferai tout ce que vous voudrez !

Argon prit une grande inspiration, puis s’arrêta. La lueur disparut et il baissa lentement son bras.

Gwen leva vers lui un regard stupéfait. Elle ne l’avait jamais vu en action et réalisait à peine sa puissance. C’était comme voir soudain les portes du paradis s’ouvrir.

– Si nous nous croisons de nouveau, ô Grand Andronicus, dit lentement Argon en baissant les yeux vers Andronicus qui sanglotait, tu seras sur le chemin vers le plus sombre royaume de l’enfer.




CHAPITRE DEUX


Thor lutta pour se dégager de l’étreinte ferme des soldats impériaux, tout en regardant Durs, un homme qu’il avait considéré comme son frère, lever son épée pour le tuer.

Thor ferma les yeux et attendit le coup. Son heure était venue. Il se morigéna d’avoir été si stupide, si confiant. Ils lui avaient tendu un piège depuis le début, comme envoyant un agneau à l’abattoir. Pire encore, ses compagnons avait fait confiance au jugement de Thor. Il n’était pas le seul à pâtir de son erreur : il emportait les autres dans sa chute. Sa naïveté et sa crédulité les avaient tous mis en danger.

Comme Thorgrin se dГ©battait, il tenta de rassembler son pouvoir, de faire appel Г  cette force enfouie au fond de lui-mГЄme, juste assez pour briser ses liens et se dГ©fendre contre son assaillant.

Mais il pouvait essayer tant qu’il voulait, ça ne venait pas. Sa puissance n’était pas suffisante pour se dégager des soldats qui le maintenaient.

Thor sentit le vent caresser son visage, comme Durs abattait son épée. Il se prépara à l’impact imminent. Il n’était pas prêt à mourir. En pensée, il voyait encore Gwendolyn, qui l’attendait dans l’Anneau. Elle aussi pâtissait de son erreur.

Thor entendit alors un bruit soudain au-dessus de sa tête. Il ouvrit les yeux et fut surpris de constater qu’il était toujours en vie. Un énorme soldat de l’Empire avait arrêté le bras de Durs en attrapant son poignet en pleine course – une prouesse, étant donné la taille de Durs. Il maintenait le poignet de Durs et le fil de son épée à quelques centimètres du visage de Thor.

Durs se tourna vers le soldat, surpris.

– Notre chef ne veut pas qu’ils meurent, murmura sombrement le soldat. Il les veut vivants. Prisonniers.

– Personne ne nous a dit ça, protesta Durs.

– C’était notre marché. Vous deviez nous laisser les tuer ! ajouta Dross.

– Les termes du marché ont changé, répondit le soldat.

– Vous ne pouvez pas faire ça ! lança Drake.

– Vraiment ? répondit sinistrement le soldat en se tournant vers lui. Nous pouvons faire ce que nous voulons. En fait, vous êtes nos prisonniers, vous aussi.

Le soldat sourit et ajoutaВ :

– Plus nous aurons d’hommes de la Légion à échanger contre une rançon, mieux ce sera.

Durs lui jeta un regard, le visage déformé par la rage et l’indignation. Un instant plus tard, une douzaine de soldats se jetaient sur les trois frères en plein chaos, les plaquèrent au sol et ligotèrent leurs poignets.

Thor profita de l’agitation pour chercher Krohn du regard et le repéra à quelques mètres de là, dissimulé dans les ombres mais restant loyalement à ses côtés.

– Krohn, aide-moi, cria Thor. MAINTENANT !

Krohn surgit en grondant, comme volant dans les airs. Il atterrit en plantant ses crocs dans la gorge du soldat qui retenait Thor. Thor se libéra, comme Krohn sautait d’un soldat à l’autre, toutes griffes dehors. Il saisit son épée, la fit tournoyer et, d’un seul mouvement, trancha trois têtes.

Il se précipita ensuite vers Reece, qui était le plus près, et transperça le cœur du soldat qui le retenait. Libéré, Reece tira son épée et se lança dans la bataille. Les deux filèrent vers leurs frères de Légion, attaquant les hommes de l’Empire pour libérer Elden, O’Connor, Conval et Conven.

Drake, Durs et Dross retenaient l’attention des autres soldats. Quand ceux-ci finirent par tourner la tête et comprirent ce qui se passait, c’était trop tard. Thor, Reece, O’Connor, Elden, Conval et Conven étaient libres, l’épée au clair. Bien sûr, les hommes de la Légion étaient en sous-nombre et Thor savait que la bataille serait difficile. Au moins, ils avaient la possibilité de se défendre. Téméraires, tous chargèrent l’ennemi.

La centaine de soldats impériaux attaqua à son tour. Thor entendit un cri strident au-dessus de sa tête et, levant les yeux, aperçut Estopheles. Son faucon plongea et griffa de ses serres les yeux du meneur qui s’écroula en se tordant de douleur. Estopheles se jeta sur les autres, pour les abattre un par un.

Comme il chargeait avec ses compagnons, Thor plaça une pierre dans sa fronde et la projeta, heurtant un soldat à la tempe. L’homme tomba avant de les atteindre. O’Connor réussit à décocher deux flèches qui trouvèrent leur cible avec une précision mortelle. Elden lança un javelot, transperçant deux soldats qui tombèrent à genoux. C’était un bon début, mais il restait une centaine de soldats à tuer.

Ils se rencontrèrent à mi-chemin au son d’un féroce cri de guerre. Thor fit ce qu’on lui avait appris et se concentra sur un soldat en particulier : il choisit le plus gros et le plus sauvage qu’il put trouver et leva son épée. Il y eut un fracas de métal quand un bouclier bloqua la lame de Thor. Son assaillant abattit alors un marteau en direction de sa tête.

Thor fit un écart et le marteau ne trouva que la terre. Thor tira sa dague de sa ceinture et le poignarda. L’homme s’effondra, mort.

Thor leva son bouclier à temps pour arrêter le coup de deux soldats et para d’un coup d’épée. Il tua l’un des deux. Il était sur le point d’abattre le second quand il vit du coin de l’œil l’éclat d’une lame. Il se retourna et la bloqua avec son bouclier.

Les assaillants survenaient maintenant de toutes parts. Ils étaient trop nombreux. Tout ce que Thor pouvait faire, c’était bloquer les coups qui pleuvaient sur lui. Il n’avait ni le temps, ni l’énergie pour attaquer, mais seulement pour se défendre. Et de plus en plus d’hommes surgissaient.

Thor balaya la scène du regard et vit que ses frères de Légion étaient dans le même pétrin. Tous s’étaient débrouillés pour tuer un ou deux soldats mais, en sous nombre, ils payaient le prix fort et recevaient des blessures mineures de tous côtés. Thor voyait bien qu’ils perdaient du terrain, même si Krohn ne cessait de bondir et d’attaquer, même si Indra les aidait en lançant des cailloux sur leurs assaillants. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne soient maîtrisés et tués.

– Libère-nous ! appela une voix.

Thor se tourna et vit Drake, ligotГ© comme ses frГЁres qui se trouvaient Г  quelques pas seulement.

– Libère-nous ! répéta Drake. Et nous t’aiderons à les vaincre ! Nous nous battons pour la même cause !

Comme Thor levait son bouclier pour bloquer de nouveau un formidable coup de hache, il se rendit compte que trois paires de bras supplémentaires pourraient vraiment les aider. Sans eux, ils n’auraient aucune chance de vaincre ces soldats. Thor n’était pas prêt à leur faire confiance mais, étant donné la situation, il ne perdait rien à essayer. Après tout, les trois frères avaient de bonnes raisons de se battre, eux aussi.

Thor para un coup d’épée, puis tomba à genoux et fit une roulade à travers la foule jusqu’à atteindre les trois frères. Il sauta et trancha leurs liens, l’un après l’autre, tout en les protégeant des coups. Les frères tirèrent leurs épées et se lancèrent dans la bataille.

Drake, Dross et Durs chargèrent le large groupe de soldats impériaux, entaillant, poignardant et transperçant les corps devant eux. Les trois étaient bien bâtis et de talentueux bretteurs. De plus, ils prirent les soldats impériaux par surprise, ce qui leur permit d’en tuer un certain nombre dans un laps de temps très court. Thor se sentait un peu mal à l’aise de les avoir libérés, après ce qu’ils avaient fait… Mais, étant donné les circonstances, c’était le choix le plus sage. Mieux que la mort.

À présent, ils étaient neuf contre les quatre-vingt soldats qui restaient. Ils étaient toujours en sous-nombre, mais un peu moins qu’avant.

Les frères de Légion retrouvèrent instinctivement les manœuvres apprises à l’entraînement, enracinées en eux depuis les Cent. Kolk et Brom leur avaient enseigné la manière de se battre contre une armée plus nombreuse : ils reculèrent et formèrent un cercle, dos à dos, pour affronter comme un seul homme les soldats impériaux survenant de tous côtés. L’arrivée de trois nouveaux guerriers leur donna une nouvelle énergie et ils repoussèrent l’ennemi encore plus vigoureusement qu’avant.

Conval tira son fléau et le fit virevolter, frappant ses assaillants encore et encore. Il abattit trois soldats avant que la chaîne ne lui soit arrachée. Son frère Conven utilisait une simple masse et fauchait les jambes de ses adversaires en faisant tournoyer l’arme hérissée de pointes. O’Connor ne pouvait pas tirer à l’arc à une telle distance mais il réussit à tirer deux dagues de sa ceinture et les lança dans la foule, tuant deux hommes. Elden brandissait avec férocité son marteau à deux mains et faisait pleuvoir autour de lui une pluie de coups. Thor et Reece, quant à eux, bloquaient et ripostaient à coups d’épée de façon experte. L’espace d’un instant, Thor se sentit optimiste.

Ce fut alors que, du coin de l’œil, il aperçut quelque chose qui l’inquiéta. Il vit les trois frères se tourner et charger à travers le cercle que formait la Légion. Il vit Durs. Il ne se précipitait par sur un soldat de l’Empire mais sur lui. Sur Thor. Il visait son dos.

Tout se passa trop vite et Thor, qui affrontait deux soldats devant lui, ne put se retourner Г  temps.

Il sut qu’il allait mourir. Il allait se faire poignarder dans le dos par un garçon qu’il avait un jour considéré comme son frère, par un garçon à qui il avait accordé sa confiance deux fois, à tort.

Soudain, Conval apparut entre eux, pour le protГ©ger.

Comme Durs abattait son Г©pГ©e dans le dos de Thor, il trouva Г  la place la poitrine de Conval.

Thor se retourna et poussa un hurlementВ :

– CONVAL!

Conval resta pétrifié un instant, les yeux grands ouverts, puis il baissa les yeux vers la lame qui lui transperçait le cœur et le sang qui jaillissait de sa poitrine.

Durs lui renvoya son regard, aussi surpris que lui.

Conval tomba sur les genoux dans un bain de sang. Thor eut l’impression qu’il basculait au ralenti, son frère de Légion qui lui était si proche, un garçon qu’il avait aimé comme un frère, face contre terre, mort. Pour sauver la vie de Thor.

Debout devant lui, Durs regardait sa victime, apparemment choqué par ce qu’il venait de faire.

Thor plongea en avant pour le tuer, mais Conven fut plus rapide. Le jumeau de Conval se précipita, fit tournoyer son épée et décapita Durs, dont le corps s’affaissa.

Thor se sentit soudain incroyablement vide et écrasé par un sentiment de culpabilité. Il avait fait une erreur de jugement de trop. S’il n’avait pas libéré Durs, Conval serait encore en vie.

Comme le dos des hommes de la Légion était maintenant exposé, les soldats de l’Empire saisirent l’opportunité. Ils s’engouffrèrent dans la brèche et Thor sentit un marteau s’abattre entre ses omoplates. La violence du coup l’envoya rouler au sol, tête la première.

Avant qu’il ne puisse se relever, plusieurs soldats se jetèrent sur lui et posèrent leurs pieds sur son dos. L’un d’eux l’attrapa par les cheveux et se pencha sur lui avec une dague.

– Dis adieu, garçon, dit-il.

Thor ferma les yeux. Il se sentit alors comme transportГ© dans un autre monde.

S’il te plaît, Dieu, dit Thor en lui-même. Laisse-moi vivre. Donne-moi la force de tuer ces soldats. Laisse-moi mourir un autre jour, à un autre endroit, avec honneur. Laisse-moi vivre assez longtemps pour venger leurs morts. Pour voir Gwendolyn une dernière fois.

Comme Thor gisait là et regardait la dague fondre sur lui, il eut l’impression que le temps se mettait à ralentir. Une vague de chaleur balaya son corps, ses jambes, son torse, ses bras, jusqu’au bout de ses doigts – un étrange picotement, si intense qu’il ne semblait plus pouvoir refermer son poing. Cette vague d’énergie et de chaleur était prête à éclater.

Thor se retourna, vibrant d’une force renouvelée, et visa son assaillant avec sa paume. Un boule de lumière blanche apparut entre ses doigts et surgit, envoyant l’homme voler à travers le champ de bataille. Le soldat emporta dans sa chute plusieurs de ses camarades.

Thor sauta sur ses pieds, débordant d’énergie, et tourna les paumes de ses mains vers l’ennemi. Des boules de lumière blanche filèrent alors de tous côtés, ouvrant des chemins de destruction, si rapides et si puissants qu’en l’espace de quelques minutes, tous les soldats impériaux tombèrent en tas sur le sol, morts.

Comme le moment de chaos s’achevait, Thor fit le bilan de la situation. Lui-même, Reece, O’Connor, Elden et Conven étaient en vie. Non loin se trouvaient Krohn et Indra, également vivants, même si Krohn paraissait essoufflé. Tous les hommes de l’Empire étaient morts. Et à leurs pieds gisait Conval, mort.

Dross avait succombé également : une épée impériale lui perçait le cœur.

Le seul des trois frères à avoir survécu était Drake. Étendu, il gémissait, blessé au ventre par une dague impériale. Il poussa un grognement de douleur quand Reece, O’Connor et Elden le mirent sans ménagements sur ses pieds. Thor marcha vers lui.

Drake, à moitié évanoui, grimaçant de douleur, ricana de façon insolente.

– Tu aurais dû nous tuer dès le départ, dit-il en toussant du sang. Tu as toujours été trop naïf. Ou trop stupide.

Thor s’empourpra, plus furieux encore contre lui-même de leur avoir fait confiance. Par-dessus tout, il était furieux que sa naïveté ait causé la mort de Conval.

– Je ne te le demanderai qu’une fois, grogna-t-il. Dis-moi la vérité et je te laisserai vivre. Si tu mens, tu suivras tes frères. Le choix t’appartient.

Drake toussa plusieurs fois.

– Où est l’Épée ? demanda Thor. Dis-nous la vérité cette fois.

Drake toussa, encore et encore, puis leva enfin la tГЄte. Il croisa le regard de Thor et ses yeux Г©taient pleins de haine.

– L’Insubmersible, dit-il enfin.

Thor et ses compagnons s’entreregardèrent sans comprendre.

– L’Insubmersible ? répéta Thor.

– C’est un lac sans fond, intervint Indra en faisait un pas en avant. De l’autre côté du Grand Désert. C’est le lac le plus profond qui existe.

Thor jeta un regard noir Г  Drake.

– Pourquoi ? demanda-t-il.

Drake toussa Г  nouveau. Il Г©tait de plus en plus faible.

– Les ordres de Gareth, dit Drake. Il voulait qu’elle soit jetée dans un endroit où on ne pourrait jamais la repêcher.

– Mais pourquoi ? pressa Thor sans comprendre. Pourquoi détruire l’Épée?

Drake leva les yeux pour croiser son regard.

– Il ne pouvait pas la manier, dit-il, alors personne n’aurait dû le faire.

Thor lui jeta un regard long et dur. Enfin, il fut certain que c’était la vérité.

– Dans ce cas, il nous reste peu de temps, dit-il en se préparant à partir.

Drake secoua la tГЄte.

– Tu n’arriveras jamais à temps, dit-il. Ils ont plusieurs jours d’avance sur vous. L’Épée est déjà perdue pour toujours. Abandonnez et retournez dans l’Anneau pour sauver vos vies.

Thor secoua la tГЄte.

– Nous n’avons pas la même mentalité que toi, répondit-il. Nous ne vivons pas pour nous-mêmes mais pour le courage, l’honneur, notre code. Et nous irons où ce code nous mènera.

– Tu vois où ton courage t’a mené ? dit Drake. Même avec de l’honneur, tu es un idiot, comme tous les autres. Le courage ne vaut rien.

Thor ricana. Il pouvait à peine croire qu’il avait été élevé dans la même maison et qu’il avait partagé son enfance avec cette créature.

Les articulations de ses doigts blanchirent quand il serra le pommeau de son épée. Il ne voulait rien de plus que tuer ce garçon. Drake aperçut son geste.

– Fais-le, dit-il. Tue-moi. Fais-le une bonne fois pour toutes.

Thor lui jeta un regard long et dur. Il brûlait de le faire, mais il avait donné à Drake sa parole qu’il ne le tuerait pas s’il disait la vérité. Et Thor respectait toujours ses promesses.

– Je ne le ferai pas, dit-il enfin. Même si tu le mérites. Tu ne mourras pas de ma main. Sinon, cela voudrait dire que je ne vaux pas mieux que toi.

Comme Thor se retournait, Conven se prГ©cipita en criantВ :

– Pour mon frère !

Avant que quiconque n’ait eu le temps de réagir, il leva son épée et la plongea dans le cœur de Drake. La folie et le chagrin brillaient dans son regard. Comme il tenait Drake dans une étreinte de mort, il vit son corps s’affaisser et tomber, inerte.

Thor savait que sa mort serait une maigre consolation pour la perte de Conven. Toutes leurs pertes. Au moins, c’était quelque chose.

Il leva les yeux vers l’étendue désertique qui leur faisait face. L’Épée se trouvait quelque part derrière ces frontières. Elle aurait pu tout aussi bien se trouver de l’autre côté de la planète… Au moment même où leur quête semblait se terminer, elle n’avait en réalité pas encore commencé.




CHAPITRE TROIS


Erec était assis au milieu des chevaliers, dans la salle d’armes du Duc, à l’intérieur du château, à l’abri derrière les murs de Savaria. Tous étaient encore endoloris suite à leur bataille contre les monstres. Son ami Brandt se trouvait à côté de lui, la tête dans les mains, comme bien d’autres. L’humeur dans la pièce était morose.

Erec le sentait aussi. Chaque muscle de son corps lui faisait mal, après ce combat contre les hommes du seigneur puis contre les monstres. Cela avait été une des journées de bataille les plus dures de sa vie et le Duc avait perdu beaucoup d’hommes. Comme Erec y réfléchissait, il songeait que, sans Alistair, ils seraient tous morts : lui-même, Brandt et tous les autres.

Erec se sentait submergé par la gratitude et même par un amour renouvelé à son égard. Elle l’intriguait, plus encore qu’auparavant. Il avait toujours senti qu’elle était spéciale et même puissante, mais les événements de ce jour le lui avaient enfin prouvé. Il désirait ardemment savoir qui elle était et connaître le secret de sa naissance. Mais il avait juré de ne pas se montrer indiscret et il tiendrait sa promesse.

Erec avait hГўte que la rГ©union se termine pour pouvoir la retrouver.

Les chevaliers du Duc étaient assis là depuis des heures et se remettaient de leurs émotions. Ils tâchaient de comprendre ce qui s’était passé et se disputaient sur la meilleure manière de réagir. Le Bouclier était tombé. Erec essayait encore d’imaginer les conséquences. Savaria serait maintenant la cible des attaques. Pire : des messagers ne cessaient d’apporter la nouvelle de l’invasion de Andronicus et de ce qui s’était passé à la Cour du Roi, ainsi qu’à Silesia. Le cœur de Erec se serra. Il aurait voulu être avec ses frères de l’Argent et défendre avec eux les villes de sa patrie. Cependant, c’était ici qu’il se trouvait, à Savaria, là où le destin l’avait envoyé. On avait besoin de lui, ici aussi : le Duc et son peuple représentaient, après tout, une partie importante de l’empire MacGil. Eux aussi avaient besoin qu’on les défende.

De nouveaux rapports les prévenaient que Andronicus envoyait un de ses bataillons par ici pour prendre Savaria. Erec savait que son armée d’un million d’hommes se disperserait aux quatre coins de l’Anneau. Quand il en aurait terminé, Andronicus ne laisserait rien derrière lui. Erec avait entendu des histoires sur ses conquêtes toute sa vie. Il savait que c’était un homme d’une cruauté sans égale. La loi du nombre était sans appel : les quelques centaines d’hommes du Duc ne résisteraient pas. Savaria était condamnée.

– Je pense que nous devrions capituler, dit le conseiller du Duc, un vieux soldat grisonnant qui se tenait à moitié avachi contre la grande table rectangulaire, perdu dans une chope de bière.

Pour accompagner ces mots, il abattit son poing gantГ© de fer sur le bois de la table. Tous les soldats se turent et se tournГЁrent vers lui.

– Quel autre choix avons-nous ? ajouta-t-il. Nous ne sommes que quelques centaines contre un million.

– Nous pouvons peut-être défendre la cité, au moins résister, dit un autre soldat.

– Mais combien de temps ? demanda un autre.

– Assez longtemps pour que MacGil envoie du renfort, si nous y parvenons.

– MacGil est mort, répondit un autre guerrier. Personne ne viendra.

– Mais sa fille est en vie, contra un autre. Et ses hommes également. Ils ne nous abandonneraient pas ici !

– Ils peuvent à peine se défendre ! protesta une voix.

La foule Г©clata dans un murmure agitГ© de protestation. Tous se coupaient la parole en gesticulant.

Erec restait assis et observait la scène. Il se sentait vide. Un messager était arrivé quelques heures plus tôt et leur avait apporté la terrible nouvelle de l’invasion de Andronicus et, pire encore aux yeux de Erec, celle de l’assassinat du Roi MacGil. Erec s’était tenu éloigné de la Cour du Roi pendant si longtemps, c’était la première fois qu’il avait vent de l’événement. Il avait eu l’impression qu’une dague lui perçait le cœur. Il avait aimé MacGil comme un père et cette perte le laissait plus seul que jamais.

La foule se calma peu à peu, au moment où le Duc se racla la gorge et attira l’attention de tous les regards.

– Nous pouvons défendre notre cité contre une attaque, dit lentement le Duc. Nos compétences et la force de nos murs nous permettraient de résister à une armée cinq fois plus nombreuse que la nôtre – même, peut-être, dix fois plus nombreuse. Et nous avons des provisions pour tenir un siège pendant des semaines. Contre une armée normale, nous gagnerions.

Il soupira.

– Mais l’armée de l’Empire n’a rien de normal, ajouta-t-il. Nous ne pouvons nous défendre contre un million d’homme. Ce serait vain.

Il marqua une pause.

– Cependant, capituler serait tout aussi futile. Nous savons tous ce que Andronicus fait à ses prisonniers. Quel que soit notre choix, nous mourrons. La question est de savoir si nous allons mourir couchés ou bien debout !

Des acclamations s’élevèrent aussitôt. Erec n’aurait pas pu mieux dire.

– Nous n’avons donc pas d’autre choix, poursuivit le Duc. Nous défendrons Savaria. Nous ne capitulerons pas. Nous mourrons peut-être, mais nous mourrons ensemble.

Un lourd silence tomba sur les hommes, comme tous hochaient gravement la tГЄte. Il semblait pourtant que tous cherchaient dГ©sespГ©rГ©ment une meilleure solution.

– Il y a un autre moyen, dit enfin Erec qui prit la parole pour la première fois.

Tous les yeux se tournГЁrent vers lui.

Le Duc lui adressa un hochement de tête pour l’inviter à parler.

– Nous pouvons attaquer.

– Attaquer ? répéta un soldat d’une voix pleine de surprise. Quelques centaines, attaquer un million d’hommes ? Erec, je sais que vous êtes téméraire, mais êtes-vous fou également ?

Erec secoua la tГЄte, trГЁs sГ©rieux.

– Vous ne pensez pas au fait que les hommes de Andronicus ne s’attendront certainement pas à une attaque. Nous aurons l’élément de surprise. Comme vous l’avez souligné, nous mourrons si nous restons ici à défendre la cité. Si nous passons à l’attaque, nous pouvons en emporter beaucoup avec nous. Mieux encore : si nous attaquons de la bonne manière et au bon endroit, nous pourrions faire bien mieux que simplement résister : nous pourrions gagner.

– Gagner !? s’exclamèrent plusieurs soldats en lançant des regards stupéfaits à Erec.

– Que veux-tu dire ? demanda la Duc.

– Andronicus s’attend à nous trouver ici, retranchés derrière les murs et prêts à défendre notre cité, expliqua Erec. Ses hommes n’imagineront pas nous trouver en train de défendre une gorge hors des murs de la ville. Ici, nous avons l’avantage des murs… Mais, là-bas, sur le champ de bataille, nous aurons l’élément de surprise. Et la surprise surpasse toujours la force. Si nous pouvons tenir une gorge, nous pouvons les attirer tous au même endroit et passer à l’attaque. Je pensais plus précisément à la Gorge de l’Est.

– La Gorge de l’Est ? répéta un soldat.

Erec hocha la tГЄte.

– C’est une crevasse profonde encaissée entre deux falaises, le seul moyen de traverser les Montagnes de Kavonia, à un jour de cheval d’ici. Si les hommes de Andronicus viennent, ils passeront par là : c’est le chemin le plus direct. Sinon, il faudrait qu’ils passent par-dessus la montagne. La route du nord est trop étroite et trop boueuse à cette époque de l’année. Cela leur prendrait des semaines. Et, en venant par le sud, ils devraient traverser la Rivière Fjord.

Le Duc jeta à Erec un regard admiratif, tout en caressant sa barbe d’un air pensif.

– Tu as peut-être raison. Andronicus pourrait mener ces hommes dans la Gorge. Une autre armée n’oserait jamais tenter le diable mais lui, avec son armée d’un million, il pourrait bien le faire.

Erec hocha la tГЄte.

– Si nous pouvons y aller, si nous pouvons les battre, nous pouvons les prendre par surprise et leur tendre un piège. Avec une telle position, nous pourrons repousser plusieurs milliers d’hommes.

Tous les soldats regardaient Erec avec un mélange d’espoir et d’émerveillement, comme un lourd silence tombait sur l’assemblée.

– Un plan audacieux, mon ami, dit le Duc. Mais il est vrai que tu es un guerrier audacieux. Tu l’as toujours été.

Le Duc fit signe Г  un domestiqueВ :

– Apporte-moi une carte !

Le garçon fila et revint précipitamment en portant un gros rouleau de parchemin. Il le déroula su la table et tous les soldats se rassemblèrent pour l’examiner.

Erec tendit la main et trouva Savaria sur la carte. Il traça une ligne du bout de son doigt, vers l’est, jusqu’à trouver la Gorge de l’Est : une crevasse étroite, entourée de montagnes aussi loin que portait le regard.

– C’est parfait, dit un soldat.

Les autres hochГЁrent la tГЄte en se caressant la barbe.

– J’ai entendu des histoires sur cette gorge, dit un soldat. Quelques douzaines d’hommes en ont déjà repoussé des milliers ici.

– Ce sont des histoires de bonne femme, répliqua un autre d’un ton cynique. Bien sûr, nous aurons l’élément de surprise. Et puis quoi ? Nous n’aurons pas la protection de nos murs.

– Nous aurons celle que nous offre la nature, contra une voix. Ces falaises sont hautes de plusieurs dizaines de mètres.

– Rien n’est sûr, ajouta Erec. Comme l’a dit le Duc, nous mourrons ici ou dehors. Moi, je dis : mourons dehors. La victoire sourit souvent aux audacieux.

Le Duc, après s’être longtemps caressé la barbe, finit par hocher la tête. Il se pencha pour replier la carte.

– Préparez-vous ! s’écria-t-il. Nous partons ce soir!


*

VГЄtu de son armure, son Г©pГ©e battant contre ses mollets, Erec marchait dans le hall du chГўteau du Duc. Contrairement aux autres, il remontait le couloir. Il avait une chose importante Г  faire avant de partir vers ce qui pourrait ГЄtre sa derniГЁre bataille.

Il fallait qu’il voie Alistair.

Depuis qu’ils étaient rentrés de bataille, Alistair avait attendu dans sa chambre du château que Erec vienne la voir. Elle pensait sans doute que leurs retrouvailles seraient heureuses et le cœur de Erec se serrait à l’idée de lui annoncer la mauvaise nouvelle. Il ressentait pourtant un sentiment de paix : au moins, elle serait à l’abri derrière ces murs. Il était plus déterminé que jamais à la défendre et à repousser l’Empire. Son cœur lui faisait mal à l’idée de la quitter. Depuis leur vœu de mariage, il ne voulait rien de plus que passer du temps en sa compagnie. Cependant, il semblait que ce n’était pas leur destin.

Erec tourna au coin, le bruit de ses éperons et de ses bottes résonnant entre les murs du couloir désert. Il se prépara à lui dire au revoir. Ce serait douloureux et il le savait. Il atteignit enfin la porte de bois ancien, taillée en forme d’arc, et toqua doucement de son doigt ganté de fer.

Des bruits de pas traversèrent la pièce et, quelques instants plus tard, la porte s’ouvrit. Le cœur de Erec se serra, comme chaque fois qu’il voyait Alistair. Elle se tenait debout sur le seuil, avec ses longs cheveux blonds qui tombaient en cascade dans son dos et ses grands yeux cristallins. Elle le regardait comme une apparition soudaine. Elle était plus belle que jamais.

Erec fit un pas en avant et la prit dans ses bras. Elle lui rendit son étreinte, le serra fort, longtemps, comme si elle ne voulait plus le lâcher. Il ne voulait pas non plus la laisser. Il aurait aimé plus que tout refermer la porte derrière lui et rester avec elle aussi longtemps qu’il le pourrait. Mais ce n’était pas ainsi que les choses se dérouleraient.

Sa chaleur et le contact de son corps… Tout était soudain parfait. Il eut du mal à la lâcher. Enfin, il fit un pas en arrière et la regarda droit dans les yeux. Elle remarqua son armure, ses armes et la déception se lut sur son visage quand elle comprit qu’il ne resterait pas.

– Tu pars de nouveau, très cher ? demanda-t-elle.

Erec baissa la tГЄte.

– Ce n’est pas mon souhait, très chère, répondit-il. L’Empire approche. Si je reste, nous allons tous mourir.

– Et si tu pars ? demanda-t-elle.

– Je mourrai sans doute quoi qu’il arrive, admit-il, mais cela nous donnera au moins une chance. Une petite chance, mais une chance néanmoins.

Alistair se détourna et marcha jusqu’à la fenêtre, pour contempler la cour du Duc illuminée par le soleil couchant. Son visage s’alluma sous la douce lumière. Erec pouvait voir sa tristesse. Il se porta à son côté et caressa les cheveux sur sa nuque.

– Ne sois pas triste, mon amour, dit-il. Si je survis, je te reviendrai. Et nous serons ensemble pour toujours, libérés du danger et des menaces. Libres de vivre enfin notre vie.

Elle secoua tristement la tГЄte.

– J’ai peur, dit-elle.

– De l’armée qui approche ? demanda-t-il.

– Non, répondit-elle en se tournant vers lui. J’ai peur de toi.

Il lui jeta un regard d’incompréhension.

– J’ai peur que tu me vois différemment à présent, dit-elle, depuis que tu m’as vue sur le champ de bataille.

Erec secoua la tГЄte.

– Je ne te vois pas différemment, dit-il. Tu m’as sauvé la vie et je t’en suis reconnaissant.

Elle secoua la tГЄte.

– Mais tu as vu un autre aspect de ce que je suis, dit-elle. Tu as vu que je ne suis pas normale. Je ne suis pas comme tout le monde. Il y a en moi un pouvoir que je ne comprends pas. Maintenant, j’ai peur que tu me voies comme un monstre. Ou comme une femme dont tu ne veux plus comme épouse.

Le cЕ“ur de Erec se brisa Г  ces mots. Il fit un pas en avant, prit ses mains entre les siennes avec une passion sincГЁre et la regarda droit dans les yeux avec le plus grand sГ©rieux.

– Alistair, dit-il. Je t’aime de toute mon âme. Je n’ai jamais aimé une femme plus que toi et je n’en aimerai jamais une autre. J’aime tout ce que tu es. Je ne te vois pas différente. Quels que soient ces pouvoirs, qui que tu sois, même si je ne le comprend pas. J’accepte tout. Je suis même reconnaissant. Je jure de ne pas te poser de questions et je garderai cette promesse. Je ne te demanderai rien. Qui ou quoi que tu sois, je t’accepte.

Elle lui jeta un long regard. Enfin, elle esquissa un sourire timide et des larmes de soulagement et de joie brillèrent sous ses paupières. Elle se tourna et l’embrassa, l’étreignit avec tout son amour.

Elle murmura contre son oreilleВ :

– Reviens-moi.




CHAPITRE QUATRE


Gareth se tenait debout au seuil de la caverne et regardait le soleil se coucher. Il passa la langue sur ses lèvres sèches et tâcha de se concentrer, car les effets de l’opium commençaient à se dissiper. La tête lui tournait : il n’avait rien mangé et rien bu depuis plusieurs jours. Gareth repensa à son audacieuse fuite du château. Il s’était faufilé par le passage secret dans la cheminée, juste avant que le seigneur Kultin ne survienne pour le piéger. Gareth sourit. Kultin avait été malin, mais Gareth s’était montré plus rusé encore. Comme tout le monde, Kultin avait sous-estimé Gareth. Il n’avait pas compris que Gareth avait des espions partout. Gareth avait eu vent du complot très rapidement.

Il s’était échappé juste à temps, avant l’arrivée de Kultin et l’invasion de la Cour du Roi par Andronicus. La ville avait été ensuite rasée. En vérité, Kultin avait fait une faveur à Gareth.

Gareth avait suivi les anciens passages secrets qui se faufilaient hors du château. Il avait rampé sous la terre jusqu’à déboucher dans la campagne, près d’un petit village reculé, à des kilomètres de la Cour. Apercevant non loin cette caverne, il s’y était réfugié et y avait dormi toute la journée, recroquevillé et tremblant sous l’impitoyable bise de l’hiver. Il aurait dû emporter plus de vêtements.

Une fois éveillé, Gareth rampa au dehors pour espionner au loin le petit village de fermiers : quelques maisonnettes, de la fumée s’élevant des cheminées, les hommes de Andronicus qui patrouillaient dans les rues et dans les environs… Gareth attendit patiemment qu’ils se dispersent. Son estomac criait famine et il savait qu’il trouverait de quoi se sustenter dans ces maisons : il sentait d’ici l’odeur de cuisine.

Gareth surgit de la grotte en regardant de tous côtés, haletant, rendu fébrile par la peur. Il n’avait pas couru depuis des années et il soufflait sous l’effort. Il se rendait compte, à présent, combien il était devenu maigre et faible. La blessure à la tête que lui avait infligée sa mère l’élançait. Il se jura de la tuer s’il survivait.

Gareth s’engouffra dans les rues du village, chanceux d’échapper à la vigilance des soldats impériaux qui venaient de tourner le dos. Il courut jusqu’à la plus proche maisonnette, une petite demeure semblable à la plupart et qui ne comportait qu’une pièce à vivre. Une douce chaleur s’en échappait. Il aperçut une jeune fille, du même âge que lui environ. Elle entra par la porte ouverte, un plateau de viande dans les mains, souriante. Une fille plus jeune, peut-être une sœur cadette, d’environ dix ans, l’accompagnait. Gareth décida que c’était l’endroit rêvé.

Il s’engouffra avec elle dans la pièce, les suivit à l’intérieur et referma en claquant la porte. Il saisit la plus jeune par derrière en enroulant son bras autour de sa gorge. Elle poussa un hurlement et sa sœur lâcha son plateau, comme Gareth tirait un couteau de sa ceinture et le pressait contre la gorge de la fille.

Elle hurla et pleura.

– PAPA !

Gareth se tourna de tous côtés dans la confortable maisonnette éclairée par la lumière des chandelles et qu’embaumaient les odeurs de cuisine. Près de l’adolescente se trouvaient une mère et un père, à table, leurs yeux écarquillés remplis d’effroi et de colère.

– Restez où vous êtes et je ne la tuerai pas ! cria Gareth, désespéré, en reculant pour s’éloigner d’eux, sans lâcher la fille.

– Qui êtes-vous ? demanda la jeune fille. Je m’appelle Sarka et ma sœur s’appelle Larka. Nous sommes des gens pacifiques. Que faites-vous avec ma sœur ? Laissez-la tranquille !

– Je sais qui tu es, lança le père d’un ton désapprobateur. Tu es l’ancien Roi. Le fils de MacGil.

– Je suis toujours Roi, s’écria Gareth. Et vous êtes mes sujets. Vous ferez ce que je vous dis !

Le pГЁre lui jeta un regard noir.

– Si tu es Roi, où est ton armée ? demanda-t-il. Et si tu es Roi, pourquoi prends-tu en otage une jeune fille innocente en la menaçant avec ta royale dague ? Peut-être la même royale dague qui t’a servi pour tuer ton propre père ? siffla l’homme. J’ai entendu les rumeurs.

– Tu as la langue bien pendue, répondit Gareth. Continue comme ça et je tue ta gamine.

Le père avala sa salive avec difficulté, les yeux écarquillés d’effroi, et se tut.

– Que voulez-vous ? s’écria la mère.

– De la nourriture, dit Gareth, et un abri. Prévenez les soldats de ma présence et je vous promets que je la tue. Pas de coups bas, vous m’entendez ? Vous me laissez tranquille et je la laisse vivre. Je veux passer la nuit là. Toi, Sarka, apporte-moi ce plateau de viande. Et toi, femme, remets une bûche au feu et donne-moi une couverture pour mes épaules ! Lentement ! prévint-il.

Le père adressa un hochement de tête à son épouse. Sarka ordonna à nouveau la viande sur son plateau, tandis que sa mère approchait avec une épaisse couverture et la drapait sur les épaules de Gareth. Ce dernier, toujours tremblant, fit quelques pas lents vers le feu ronflant pour s’y réchauffer le dos. Il s’assit par terre, tout en gardant contre lui Larka qui continuait de pleurer. Sarka lui tendit le plateau.

– Pose-le à côté de moi, ordonna Gareth. Lentement !

Sarka s’exécuta en lui lançant un regard noir. Elle jeta un coup d’œil inquiet à sa sœur et posa d’un geste agacé le plateau par terre.

L’odeur bouleversa Gareth. Il tendit sa main libre pour attraper un morceau de viande, tout en maintenant la dague sous la gorge de Larka. Il mâcha, mâcha, mâcha, les yeux fermés, savourant la moindre bouchée. Il mâchait plus vite qu’il ne pouvait avaler et des morceaux restèrent dans sa bouche et sa gorge.

– Du vin ! réclama-t-il.

La mère lui apporta une outre, que Gareth pressa devant sa bouche ouverte, pour faire passer. Il prit de grandes inspirations, mangea, but… Il commençait à se sentir à nouveau lui-même.

– Maintenant, laisse-la ! dit le père.

– Pas question, répondit Gareth. Je passe la nuit là, comme ça, avec elle dans mes bras. Elle sera en sécurité, tant que je le serai, moi aussi. Vous voulez jouer au héros ? Ou bien vous voulez que votre fille vive ?

Ils Г©changГЁrent des regards hГ©sitants.

– Puis-je te poser une question ? demanda Sarka. Si tu es un si bon roi, pourquoi traites-tu tes sujets ainsi ?

Gareth lui renvoya son regard, stupГ©fait, puis il renversa la tГЄte et Г©clata de rire.

– Qui a dit que j’étais un bon roi ?




CHAPITRE CINQ


Gwendolyn ouvrit les yeux. Elle sentait le monde bouger autour d’elle et lutta pour comprendre où elle se trouvait. Elle vit les immenses arches en pierre écarlate des portes de Silesia passer près d’elle, ainsi que des milliers de soldats impériaux aux regards émerveillés. Elle vit Steffen qui marchait près d’elle, puis leva les yeux vers le ciel, balancée par un étrange roulis. Elle comprit qu’on était en train de la porter. Elle était dans les bras de quelqu’un.

Elle tourna le cou et aperçut les yeux brillants et intenses de Argon. Elle réalisa que c’était lui qui la portait. Steffen marchait à leur côté, comme ils franchissaient les portes ouvertes de Silesia devant des milliers de soldats impériaux. Ceux-ci s’écartaient sur leur passage et les dévisageaient. Un étrange halo les entourait et Gwendolyn se sentait submergée par une sorte de bouclier d’énergie dans les bras de Argon. Elle songea qu’il avait jeté un sort aux soldats pour qu’ils restent à distance.

Gwen se sentait bien et protégée dans ces bras. Chaque muscle de son corps lui faisait mal. Elle était épuisée. Elle ne savait pas si elle aurait pu marcher. Ses paupières tombaient et elle n’apercevait le monde autour d’elle que par bribes. Elle vit un mur à moitié effondré, un parapet brisé, une maison brûlée, un tas de gravats. Elle vit qu’elle traversait la cour en direction des portes intérieures, qu’ils franchirent ensuite devant une rangée de soldats.

Il atteignirent le bord du Canyon et la plate-forme hГ©rissГ©e de pointes mГ©talliques. Comme Argon prenait place, ils descendirent lentement, de retour dans les profondeurs de la basse Silesia.

En pénétrant dans la cité, Gwendolyn se vit entourée de douzaines de visages. Les aimables Silésiens la regardèrent passer comme un spectacle, les yeux pleins d’inquiétude et d’admiration, alors que Argon la conduisait jusqu’à la place principale.

Des centaines de personnes affluèrent. Elle aperçut des visages familiers : Kendrick, Srog, Godfrey, Brom, Kolk, Atme et des douzaines d’hommes de la Légion ou de l’Argent qu’elle connaissait… Ils se pressèrent autour d’elle. Des visages de détresse sous le soleil du petit matin, tandis que la brume tourbillonnante s’élevait du Canyon. Une brise froide piqua Gwendolyn. Elle ferma les yeux, pour que tout disparaisse. Elle avait l’impression d’être une chose sur un présentoir et ce sentiment l’écrasait. Elle se sentait humiliée, comme si elle les avait tous laissé tomber.

Ils poursuivirent leur chemin, passèrent devant eux, suivirent les allées tortueuses de la cité basse, jusqu’à franchir une autre porte sous une arche : celle du petit palais. Gwen perdit connaissance en entrant dans la magnifique demeure de pierre rouge, comme Argon montait une volée de marches et longeait un couloir. Enfin, ils passèrent une petite porte et se retrouvèrent dans une pièce.

Elle était basse de plafond. C’était une large chambre. Un antique lit à baldaquin trônait en son centre et un feu brûlait dans l’âtre de marbre ancien. Des domestiques se tenaient là. Gwen sentit que Argon la déposait sur son lit doucement. Un groupe se rassembla alors autour d’elle et la contempla avec inquiétude.

Argon se retira. Il fit quelques pas en arrière et disparut au milieu de la foule. Elle le chercha du regard, cligna des yeux plusieurs fois, mais ne put le retrouver. Il était parti. Elle sentit l’absence de l’énergie protectrice qui l’avait enveloppée comme un manteau. Elle eut l’impression d’avoir plus froid, d’être moins en sécurité, sans lui auprès d’elle.

Gwen passa la langue sur ses lèvres sèches. Un instant plus tard, elle sentit qu’on plaçait sa tête sur un oreiller et que l’on approchait un verre d’eau de sa bouche. Elle but, but, but, tout en réalisant soudain combien elle avait soif. Elle leva les paupières et vit une femme qu’elle reconnut.

Illepra, la guérisseuse royale. Celle-ci baissa vers elle ses prunelles brunes remplies d’inquiétude, lui donna de l’eau, promena un linge chaud sur son visage et dégagea les mèches de son visage. Elle posa la paume sur son front et Gwen sentit une énergie bienfaisante la traverser. Elle ferma ses paupières lourdes et, bientôt, s’endormit malgré elle.


*

Gwendolyn ne savait pas combien de temps elle garda les yeux fermés. Quand elle ouvrit à nouveau les paupières, elle se sentit épuisée et désorientée. Dans ses rêves, elle avait entendu une voix. Elle l’entendait encore :

– Gwendolyn, dit-elle.

Elle rГ©sonnait comme un Г©cho dans son esprit. Gwen se demanda combien de fois elle avait appelГ© son nom.

Elle leva les paupières et reconnut Kendrick à ses côtés. Son frère Godfrey se tenait non loin, flanqué de Srog, Brom, Kolk et de plusieurs autres. Steffen se trouvait de l’autre côté du lit. Elle haïssait les expressions de leurs visages. Ils la regardaient avec un air de pitié, comme si elle revenait d’entre les morts.

– Ma sœur, dit Kendrick en souriant.

Elle put entendre l’inquiétude dans sa voix.

– Dis-nous ce qui s’est passé.

Gwen secoua la tГЄte, trop fatiguГ©e pour tout raconter.

– Andronicus…, dit-elle d’une voix rauque qui sonna comme un murmure.

Elle se racla la gorge.

– J’ai voulu me rendre à lui… contre la cité… Je lui ai fait confiance. Quelle stupide, stupide…

Elle secoua la tГЄte, encore et encore. Une larme coula le long de sa joue.

– Non, tu as fait preuve de noblesse, corrigea Kendrick en prenant sa main. Tu es la plus vaillante d’entre nous.

– Tu as fait ce qu’aurait fait tout grand chef de guerre, dit Godfrey en faisant un pas en avant.

Gwen secoua la tГЄte.

– Il nous a dupés…, dit-elle, et il m’a agressée. Il a forcé McCloud à m’agresser.

Gwen ne put s’empêcher d’éclater en sanglots en prononçant ces mots, incapable de se contenir. Elle savait que ce n’était pas ainsi qu’un souverain doit se comporter, mais elle ne put rien y faire.

Kendrick serra sa main plus fort.

– Ils allaient me tuer…, dit-elle, mais Steffen m’a sauvée…

Tous se tournГЁrent vers Steffen avec un respect renouvelГ©. Debout, loyal, aux cГґtГ©s de sa Reine, il leur adressa un hochement de tГЄte.

– C’était trop peu et trop tard, répondit-il avec humilité. Je n’étais qu’un homme contre bien d’autres.

– Quand bien même, tu as sauvé notre sœur et nous t’en sommes éternellement reconnaissants, dit Kendrick.

Steffen secoua la tГЄte.

– La dette que je lui dois est bien plus grande, répondit-il.

Gwen Г©touffa un sanglot.

– Argon nous a sauvés tous les deux, conclut-elle.

Le visage de Kendrick s’assombrit.

– Je te vengerai, dit-il.

– Ce n’est pas pour moi que je m’inquiète, dit-elle. C’est pour la cité… notre peuple… Silesia… Andronicus… Il va passer à l’attaque…

Godfrey lui tapota la main.

– Ne t’inquiète pas pour ça, dit-il en faisant un pas vers elle. Repose-toi. Laisse-nous discuter de ces choses-là. Tu es en sécurité maintenant.

Gwen sentit ses paupières tomber. Elle ne savait plus si elle rêvait ou si c’était la réalité.

– Elle a besoin de dormir, dit Illepra en s’avançant d’un air protecteur.

Gwendolyn entendit vaguement leur conversation : ses paupières de plus en plus lourdes, elle dériva lentement entre la brume du sommeil. Des images de Thor et de son père traversèrent son esprit. Elle commençait à avoir du mal à distinguer la réalité du rêve. La conversation de ses compagnons ne lui parvenait que par bribes.

– Ses blessures sont-elles sérieuses ? demanda une voix qui appartenait sans doute à Kendrick.

Gwen sentit la main de Illepra caresser son front. Les derniers mots qu’elle entendit furent la réponse de la guérisseuse :

– Les blessures de son corps sont bénignes, mon seigneur. Ce sont les blessures de l’esprit qui sont profondes.


*

Quand Gwen s’éveilla à nouveau, ce fut au son crépitant du feu. Elle n’aurait su dire combien de temps elle avait dormi. Elle cligna des yeux plusieurs fois en regardant autour d’elle. La foule s’était dispersée. Seuls restaient Steffen, assis à son chevet, Illepra, qui enduisait son poignet de pommade, et une autre personne. C’était un vieillard au visage doux, qui la contemplait avec inquiétude. Elle le reconnaissait vaguement, mais elle eut du mal à l’identifier. Elle se sentait fatiguée, si fatiguée, comme si elle n’avait pas dormi depuis des années.

– Madame ? demanda le vieillard en se penchant vers elle.

Il portait quelque chose dans ses mains. Elle réalisa que c’était un livre relié de cuir.

– Je suis Aberthol, dit-il, votre vieux professeur. M’entendez-vous ?

Gwen avala sa salive avec difficultГ© et hocha lentement la tГЄte. Elle ouvrit Г  peine les yeux.

– J’ai attendu des heures pour vous voir, dit-il. Je vous ai vu remuer.

Gwen hocha la tГЄte. Elle se souvenait maintenant et sa prГ©sence lui mettait du baume au cЕ“ur.

Aberthol ouvrit son grand livre. Elle sentit son poids contre sa cuisse et entendit les lourdes pages craquer à mesure qu’il les tournait.

– C’est un des ouvrages que j’ai réussi à sauver, expliqua-t-il, avant que la Maison des Érudits ne brûle. C’est la quatrième annale des MacGils. Vous l’avez lue. Elle narre bien des histories de conquêtes, de triomphes et de défaites, bien sûr… Mais il y a également d’autres histoires. Des histoires de grands chefs blessés. Des blessures du corps et des blessures de l’esprit. Tout ce que l’on peut imaginer, Madame. Et je suis venu vous dire ceci : même les meilleurs des hommes et des femmes ont souffert de manière inimaginable, de blessures ou de torture. Vous n’êtes pas la seule. Vous êtes un barreau sur la roue du temps. Bien d’autres ont survécu à de plus grandes souffrances. Nombre d’entre eux sont devenus de grands chefs. Ne soyez pas honteuse, dit-il en saisissant son poignet. Voilà ce que je viens vous dire. Ne soyez jamais honteuse. Il ne devrait y avoir aucune honte dans votre cœur, mais seulement de l’honneur et du courage pour ce que vous avez fait. Vous êtes un des plus grands souverains que l’Anneau a connus. Et ce qui vous arrive ne vous diminue en rien.

Gwen, touchée par ces mots, sentit une larme couler le long de sa joue. C’était exactement ce qu’elle avait eu besoin d’entendre et elle était reconnaissance. Bien sûr, elle savait et comprenait qu’il avait raison.

Cependant, elle avait bien du mal à le ressentir dans son cœur. Une partie d’elle ne pouvait s’empêcher de croire qu’elle était souillée pour toujours. Elle savait que ce n’était pas vrai, mais c’était ce qu’elle ressentait.

Aberthol sourit et tira un livre plus petit.

– Vous rappelez-vous celui-ci ? demanda-t-il en tournant la couverture de cuir rouge. C’était votre préféré quand vous étiez petite. Les légendes de nos pères. Il y a dans celui-ci une histoire que j’aimerais vous lire, pour vous aider à passer le temps.

Gwen Г©tait touchГ©e par son geste, mais elle ne pouvait plus le supporter. Elle secoua tristement la tГЄte.

– Merci, dit-elle d’une voix rauque comme une larme coulait à nouveau. Mais je ne peux pas l’écouter maintenant.

La dГ©ception se lut sur son visage et il hocha la tГЄte, comprГ©hensif.

– Une autre fois, dit-elle d’un air abattu. J’ai besoin d’être seule. S’il vous plaît, laissez-moi. Vous tous, ajouta-t-elle en se tournant vers Steffen et Illepra.

Tous se levГЁrent et inclinГЁrent la tГЄte, avant de quitter la piГЁce.

Gwen se sentait coupable et ne pouvait se raisonner. Elle voulait se recroqueviller et mourir. Elle entendit leur pas quitter la chambre et la porte se refermer. Elle leva les yeux pour s’assurer qu’elle était seule.

À sa grande surprise, ce n’était pas le cas. Une silhouette solitaire se tenait sur le seuil, droite, altière et parfaite, comme toujours. Elle marcha lentement et majestueusement vers Gwen, avant de s’arrêter à quelques pas de son lit, le visage inexpressif.

Sa mГЁre.

Gwen était surprise de la voir là, l’ancienne reine, toujours aussi hautaine et fière, toujours aussi froide à l’égard de sa fille. Il n’y avait aucune trace de compassion dans ses yeux, contrairement aux regards de ses autres visiteurs.

– Que fais-tu là ? demanda Gwen.

– Je viens te rendre visite.

– Je ne veux pas te voir, dit Gwen. Je ne veux voir personne.

– Ce que tu veux ne m’intéresse pas, répondit sa mère pleine d’assurance. Je suis ta mère et j’ai le droit de te voir quand bon me chante.

Gwen sentit sa vieille colère se réveiller : sa mère était vraiment la dernière personne qu’elle voulait voir… Mais elle la connaissait : sa mère ne partirait pas avant de lui avoir dit ce qu’elle voulait lui dire.

– Parle dans ce cas, dit Gwendolyn. Parle et va-t-en et ne reviens plus.

Sa mГЁre soupira.

– Tu ne le sais pas, dit-elle, mais quand j’étais jeune, ton âge à peu près, j’ai été agressée, comme toi.

Gwen lui renvoya son regard, choquée. Elle n’en avait jamais rien su.

– Ton père le savait, poursuivit sa mère, et cela ne le dérangeait pas. Il m’a épousée malgré tout. J’avais eu l’impression que ma vie était terminée, mais ce n’était pas le cas.

Gwen ferma les yeux et une larme roula à nouveau au coin de son œil. Elle essaya de ne pas écouter. Elle ne voulait pas entendre l’histoire de sa mère. Il était trop tard pour qu’elle lui montre un peu de compassion. Sa mère pensait-elle vraiment qu’elle pouvait revenir après tant d’années difficiles et lui offrir une simple histoire pour que tout soit oublié ?

– As-tu fini ? demanda Gwen.

Sa mГЁre fit un pas en avant.

– Non, je n’ai pas fini, dit-elle fermement. Tu es Reine maintenant et il est temps que tu te comportes en Reine.

Sa voix était dure et tranchante comme de l’acier. Gwen y lut une force qu’elle n’avait encore jamais remarquée.

– Tu te complais dans la pitié, mais des femmes souffrent plus que toi, chaque jour, partout. Ce qui t’est arrivé n’est rien face au destin du monde. M’entends-tu ? Ce n’est rien.

Sa mГЁre soupira.

– Si tu veux survivre et faire de ce monde ton foyer, tu dois être forte. Plus forte que les hommes. Les hommes finiront par t’avoir, d’une manière ou d’une autre. Il ne s’agit pas de ce qui arrive à ton corps, il s’agit de la façon dont tu perçois les événements, la façon que tu as de réagir. Tu peux contrôler cela. Tu peux choisir de te laisser mourir ou tu peux te montrer forte. C’est cela qui différencie les filles des femmes.

Gwen savait que sa mère essayait de l’aider, mais elle haïssait l’absence de compassion dans ses propos. Et elle haïssait qu’on lui fasse la leçon.

– Je te déteste, lui dit Gwendolyn. Je t’ai toujours détestée.

– Je le sais, répondit sa mère, et je te hais tout autant. Cela ne veux pas dire que nous ne nous comprenons pas. Je ne veux pas de ton amour, je veux que tu sois forte. Ce monde ne peut être gouverné par des faibles ou des couards, mais par ceux qui balayent l’adversité d’un geste comme si ce n’était rien. Tu peux te laisser mourir, si tel est ton souhait. Tu as bien le temps pour ça. Mais quel ennui ! Sois forte et vis ta vie. Vis ta vie ! Sois un exemple pour les autres. Un jour, je t’assure, tu mourras de toute façon. Tant que tu vis, tu n’as qu’à vivre.

– Laisse-moi tranquille ! cria Gwen, incapable d’entendre un seul mot de plus.

Sa mГЁre lui jeta un regard froid. Enfin, aprГЁs un silence interminable, elle fit volte-face et quitta la piГЁce en trottinant comme un paon. Elle claqua la porte derriГЁre elle.

Dans le silence qui suivit, Gwen se mit Г  pleurer, et pleura, pleura, pleura. Plus que jamais, elle souhaita que tout disparaisse.




CHAPITRE SIX


Kendrick se tenait au bord du Canyon et contemplait la brume tourbillonnante. Son cœur se brisait. Il était difficile pour lui de voir sa sœur dans cet état. Kendrick se sentait impuissant et souillé, comme s’il avait été lui-même la cible de l’agression. Il voyait sur les visages des Silésiens qu’ils ne considéraient pas seulement Gwen comme leur souveraine, mais aussi comme un membre de leur famille. Tous étaient abattus. Andronicus leur avait porté un coup terrible à tous.

Kendrick se sentait coupable. Il aurait dû savoir que sa jeune sœur tenterait de faire quelque chose, car elle était courageuse et fière. Il aurait dû prévoir qu’elle essayerait de se rendre à l’ennemi avant qu’on ne puisse l’arrêter. Il aurait dû trouver le moyen d’empêcher ça. Il connaissait sa nature. Il savait qu’elle accordait facilement sa confiance et qu’elle avait bon cœur. En tant que guerrier, il connaissait également la brutalité de certains chefs de guerre. Il était plus âgé et plus sage qu’elle. Il l’avait laissé tomber.

Kendrick se sentait également coupable de voir une situation si sombre tomber sur les épaules d’une jeune fille si jeune, d’à peine seize ans, tout juste couronnée. Elle n’aurait pas dû porter ce poids toute seule. Même Kendrick aurait eu du mal à le supporter à sa place, ou même leur père. Gwen faisait de son mieux, étant donné les circonstances. Peut-être mieux que tout autre à sa place. Kendrick, lui non plus, n’avait aucune solution. Aucun d’entre eux n’avait de solution.

Kendrick pensa à Andronicus et s’empourpra. C’était un chef sans principe, sans morale, sans humanité. Il était clair à présent que tous les Silésiens auraient connu un sort fatal après leur reddition : ils auraient été tous tués ou réduits en esclavage, jusqu’au dernier.

Quelque chose changeait dans l’air. Kendrick le voyait dans les regards de ses hommes. Lui-même le ressentait. Les Silésiens n’étaient plus déterminés à survivre seulement ou à se défendre. Maintenant, ils voulaient se venger.

– SILÉSIENS ! tonna une voix.

La foule se tut et tous levèrent les yeux. De la cite haute, penché sur l’arête du Canyon, Andronicus les regardait, flanché de ses sbires.

– Je vous donne le choix ! tonna-t-il. Livrez-moi Gwendolyn et je vous laisserai la vie sauve ! Si vous ne le faites pas, je ferai pleuvoir le feu sur vous, dès le coucher du soleil. Un feu si intense qu’aucun de vous n’y survivra !

Il marqua une pause et sourit.

– C’est une offre généreuse. Ne réfléchissez pas trop longtemps.

LГ -dessus, Andronicus se retira brusquement.

Les Silésiens s’entreregardèrent lentement.

Srog fit un pas en avant.

– Compagnons de Silesia ! s’écria-t-il devant une masse de guerriers plus graves que jamais auparavant. Andronicus s’en est pris à notre souveraine bien-aimée. La fille de notre bien-aimé Roi MacGil. Une grande Reine. Ce faisant, il s’en est pris à chacun d’entre nous. Il a tenté de souiller son honneur, mais il n’a souillé que le sien !

– C’EST VRAI ! hurla-t-on dans la foule, comme les hommes serraient le poing sur le pommeau de leurs épées, leurs regards enflammés.

– Kendrick, dit Srog en se tournant vers lui, que proposes-tu ?

Kendrick croisa les regards des soldats devant lui.

– NOUS ATTAQUONS ! cria-t-il.

Il sentait un feu pulser dans ses veines. La foule poussa des cris d’approbation. La témérité se lisait dans tous les regards. Chacun était prêt à se battre jusqu’à la mort, Kendrick le voyait bien.

– NOUS MOURRONS COMME DES HOMMES, NON COMME DES CHIENS ! cria-t-il encore.

– OUI ! répondit la foule.

– NOUS NOUS BATTONS POUR GWENDOLYN ! POUR NOS MÈRES ET NOS SŒURS ET NOS ÉPOUSES !

– OUI !

– POUR GWENDOLYN ! cria Kendrick.

– POUR GWENDOLYN ! répéta la foule.

Les soldats poussГЁrent des hurlements de joie et leur nombre ne fit que croГ®tre.

Avec un dernier cri de guerre, ils suivirent Kendrick et Srog qui les menèrent dans les escaliers, toujours plus haut, en direction de la haute Silesia. Il était temps de montrer à Andronicus ce dont l’Argent était capable.




CHAPITRE SEPT


Thor se tenait aux côtés de Reece, O’Connor, Elden, Conven, Indra et Krohn à l’embouchure de la rivière, comme tous regardaient le corps de Conval. L’humeur était sombre. Un terrible poids pesait sur la poitrine de Thor qui contemplait, à ses pieds, son frère de Légion. Conval. Mort. Cela ne semblait pas réel. Aussi loin que Thor se souvenait, ils avaient été six dans ce voyage. Il n’avait jamais imaginé qu’ils pourraient soudain se retrouver à cinq. C’était comme si ce coup du sort rappelait à Thor sa propre mortalité.

Il pensa à toutes les fois où Conval avait été présent pour lui, toujours à ses côtés, à chaque pas, depuis le jour où Thor avait rejoint la Légion. Il était comme un frère. Conval l’avait toujours défendu. Il avait toujours eu un mot gentil pour lui. Contrairement aux autres, il avait accepté Thor comme un ami dès le début. Le voir étendu là, mort, à cause d’une erreur de Thor… Il en était malade. S’il n’avait pas fait confiance à ces trois frères, Conval aurait peut-être gardé la vie sauve.

Thor ne pouvait imaginer Conval et Conven séparés, les deux frères jumeaux, inséparables, complémentaires. Comment Conven pouvait-il bien se sentir à présent ? Il semblait avoir perdu l’esprit : le Conven insouciant et heureux que Thor avait connu était parti avec ce coup d’épée.

Tous se tenaient à l’orée du champ de bataille, les corps des soldats impériaux entassés derrière eux, et contemplaient le corps de Conval à leurs pieds, comme pétrifiés. Aucun n’avait voulu repartir sans lui offrir des funérailles convenables. Ils avaient arrachés quelques fourrures précieuses sur les corps des officiers pour envelopper le cadavre. Ils avaient placé son corps étendu, raide, tourné vers le ciel, sur le petit bateau qui les avait menés jusqu’ici. Les funérailles d’un guerrier. Conval semblait déjà pétrifié, son corps raide et bleu, comme s’il n’avait jamais vécu.

Thor ne savait pas combien ils restèrent debout là, perdus dans leur chagrin, incapables de laisser partir ce corps. Indra passa la paume de sa main sur le visage de Conval, en formant des petits cercles et en chantant les yeux fermés une litanie que Thor ne comprit pas. À voir la façon dont elle menait la cérémonie, il était évident que c’était important pour elle. Thor sentait un sentiment de paix en l’écoutant. Les garçons, eux, ne savaient pas quoi dire et se contentaient de l’observer en silence, l’air morose.

Enfin, Indra se tut et fit un pas en arrière. Conven s’avança, les yeux noyés de larmes, et s’agenouilla au chevet de son frère. Il prit sa main entre les siennes et courba la tête.

Conven repoussa alors le bateau qui se mit à danser sur les eaux calmes de la rivière. Comme s’il comprenait l’importance de la cérémonie, le courant l’emporta soudain en douceur, de plus en plus loin. Krohn gémissait en le voyant s’éloigner. Une étrange brume s’éleva alors et enveloppa l’embarcation qui disparut.

Thor eut l’impression que son corps, lui aussi, avait été aspiré par le monde infernal.

Lentement, les garçons se tournèrent les uns vers les autres, puis en direction du champ de bataille et du paysage qui s’étendait au-delà. Ils avaient atteint un carrefour. Le monde infernal se trouvait derrière eux. Devant eux, d’une part et d’autre du paysage, une vaste prairie et un désert cuit par le soleil leur faisaient face.

Thor se tourna vers Indra.

– Pour atteindre l’Insubmersible, il nous faut traverser ce désert ? demanda-t-il.

Elle hocha la tГЄte.

– Y a-t-il un autre moyen ?

Elle secoua la tГЄte.

– Il y a d’autres chemins mais moins directs. Vous perdriez des semaines. Si vous voulez avoir la moindre chance de rattraper ces voleurs, c’est le seul moyen.

Les autres scrutèrent l’horizon d’un air déterminé. Au loin, la chaleur formait d’étranges vagues dans la paysage.

– L’endroit n’a pas l’air accueillant, dit Reece en s’approchant de Thor.

– Personne n’a survécu à la traversée de ce désert, dit Indra. C’est très grand et peuplé de créatures hostiles.

– Nous n’avons pas assez de provisions, dit O’Connor. On n’y arriverait pas.

– Mais c’est le chemin pour trouver l’Épée, répondit Thor.

– Si elle existe toujours…, dit Elden.

– Si les voleurs ont atteint l’Insubmersible, intervint Indra, alors votre précieuse Épée est perdue à jamais. Vous risqueriez vos vies pour un rêve. Le mieux à faire, c’est de retourner vers l’Anneau.

– Nous ne ferons pas demi-tour, dit Thor d’un ton déterminé.

– Surtout maintenant, ajouta Conven qui fit un pas en avant, le regard brillant de feu et de chagrin.

– Nous trouverons l’Épée ou nous mourrons en essayant, dit Reece.

Indra secoua la tГЄte et soupira

– Je n’en attendais pas moins de vous, les garçons, dit-elle. Téméraires jusqu’au bout.


*

Thor et ses compagnons marchaient côte à côte à travers le désert, en plissant les yeux devant le soleil brûlant et en soufflant sous l’écrasante canicule. Thor s’était réjoui de quitter enfin le sinistre monde infernal et de revoir les soleils. Il avait rapidement déchanté. Du soleil, sous ces latitudes, il n’y avait que cela : un soleil jaune dans un ciel jaune, pesant sur le groupe de tous ses rayons. Pas un brin d’ombre à l’horizon. La tête de Thor lui faisait mal. Il traînait les pieds. Il avait l’impression de marcher depuis des années. Il voyait que les autres étaient dans le même état.

Ils marchaient depuis une demi-journée. Thor ne savait pas combien de temps encore ils pourraient continuer. Il jeta un coup d’œil à Indra, qui portait sa capuche, et se demanda si elle avait raison. Peut-être étaient-ils téméraires de traverser… Mais il avait promis de trouver l’Épée – et quel choix avaient-ils ?

Leurs pas soulevaient des nuages de poussière tourbillonnants, ce qui rendait l’air irrespirable. À l’horizon, on n’apercevait qu’une terre cuite par les rayons du soleil, plate aussi loin que portait le regard. Il n’y avait pas le moindre signe de construction, de route ou de montagne. Rien. Seulement le désert. Thor avait l’impression d’être arrivé au bout du monde.

Une seule pensée le réconfortait : au moins, pour la première fois, ils avaient une destination. Ils n’étaient plus à la merci des trois frères et de leur stupide carte. Maintenant, ils écoutaient Indra et Thor lui faisait plus confiance qu’aux trois frères. Il était certain, cette fois, d’aller dans la bonne direction. Il n’était seulement pas certain de survivre au voyage.

Thor entendit alors un bruit étrange, comme un souffle léger. En baissant les yeux, il s’aperçut que le sable autour de lui commençait à tourbillonner. Les autres se rendirent compte, eux aussi. Le sable semblait s’amasser sous leurs pieds tout en formant des cercles qui s’élevèrent lentement vers le ciel. Bientôt, un grand nuage de poussière se forma et monta de plus en plus haut.

Thor sentit son corps se dessécher, comme si toute l’eau en lui s’échappait. Il eut soudain terriblement soif, plus soif que jamais.

Il porta une main paniquée à sa ceinture pour attraper fébrilement sa gourde. Il la pencha au-dessus de sa bouche… Mais l’eau n’atteignit jamais ses lèvres et monta vers le ciel.

– Que se passe-t-il ? cria Thor en direction de Indra.

Elle leva des yeux effrayГ©s vers les nuages, en se couvrant de sa capuche.

– Une pluie inversée ! hurla-t-elle.

– C’est quoi ? cria Elden en se tenant la gorge.

– Il pleut vers le haut ! cria-t-elle. Toute l’humidité est aspirée vers le ciel !

Ce qui restait d’eau dans l’outre jaillit par le goulot, puis l’outre elle-même, faite de peau, se dessécha jusqu’à prendre l’allure d’un fruit sec.

Thor tomba Г  genoux et porta dГ©sespГ©rГ©ment les mains Г  sa gorge. Il ne pouvait presque plus respirer. Tout autour de lui, ses compagnons Г©taient dans le mГЄme Г©tat.

– De l’eau ! supplia Elden à ses côtés.

Il y eut alors un grand bruit de tonnerre, comme celui d’un millier d’éclairs, et Thor vit le ciel s’assombrir de façon dramatique. Un nuage d’orage apparut, filant dans le ciel à une vitesse folle.

– BAISSEZ-VOUS ! cria Indra. Le ciel se renverse !

Elle avait à peine prononcé ces mots que le ciel s’ouvrit, déversant un mur d’eau qui emporta les compagnons avec la force d’un océan.

Thor se sentit rouler, encore et encore. Impossible de savoir combien de temps. Enfin, il refit surface sur le sol du désert et l’immense vague poursuivit son chemin derrière lui. Une terrible averse suivit alors et Thor renversa la tête pour boire, boire, boire jusqu’à plus soif, comme les autres. Enfin, il se sentit à nouveau hydraté.

Lentement, ils se mirent sur leurs pieds, pantelants, avec l’impression d’être passés sous un broyeur. Ils s’entreregardèrent. Ils avaient survécu ! Une fois le choc passé, tous éclatèrent de rire.

– Nous sommes en vie ! cria O’Connor.

– Ce désert n’a rien de pire à nous envoyer ? demanda Reece, heureux d’être vivant.

Indra secoua la tête d’un air sombre.

– Vous criez trop vite victoire, dit-elle d’une voix inquiète. Après les pluies, les animaux du désert viennent s’abreuver.

Un bruit s’éleva alors. En se retournant, Thor vit avec horreur qu’une armée de créatures sortaient du sable et filaient dans leur direction. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit que la vague avait formé un lac derrière le groupe. Ils se trouvaient maintenant sur le chemin de ces créatures assoiffées.

Thor n’avait jamais rien vu de tel et les choses se précipitaient par douzaines dans leur direction. D’énormes animaux au pelage jaune, semblables à des buffles mais deux fois plus larges, munis de quatre bras et de quatre cornes. Ils couraient de façon étrange, un instant sur les pattes arrière avant de retomber lourdement à quatre pattes pour prendre de l’élan. Ils rugissaient si fort que la terre tremblait.

Thor tira son épée, imité par ses compagnons, qui se préparèrent à se défendre. Comme les animaux approchaient, Thor roula sur le côté pour les éviter, sans frapper, en espérant qu’ils poursuivraient leur chemin jusqu’au lac.

La première créature baissa la tête pour encorner Thor et le manqua d’un cheveu. À la grande horreur de Thor, elle ne s’en satisfit pas et volta, enragée, pour le charger de nouveau. Elle semblait vouloir le tuer bien plus qu’elle ne voulait boire.

Thor fit un bond pour éviter les cornes et abattit son épée, lui entaillant la tête. L’animal poussa un hurlement, sauta sur ses pattes arrière et se retourna brusquement. Il écorcha Thor et l’envoyer bouler au sol.

Il chercha alors à le piétiner mais Thor roula hors de portée de ses pattes en soulevant un nuage de poussière. La bête se dressa à nouveau. Cette fois, Thor leva son épée et la plongea dans la poitrine de l’animal, jusqu’à la garde.

La bête poussa un hurlement et Thor roula sur le côté pour l’éviter quand elle s’écroula, morte. Heureusement, car son poids l’aurait probablement écrasé.

Comme Thor sautait sur ses pieds, une autre créature le chargea. Il fit un bond de côté mais ne put empêcher les cornes d’écorcher son bras, laissant une profonde entaille. Il poussa un cri de douleur et lâcha son épée. Désarmé, Thor tira sa fronde et l’arma d’une pierre qu’il jeta contre la créature.

Le projectile l’atteignit à l’œil. La créature tituba… sans s’arrêter de charger !

Thor courut à gauche, puis à droite, en zigzagant, mais l’animal était trop rapide. Thor sut qu’il allait se faire encorner. Il jeta un coup d’œil vers ses frères de Légion et vit qu’ils se trouvaient dans le même pétrin : chacun courait pour échapper à une bête.

Celle qui coursait Thor se rapprochait. Il pouvait sentir son souffle sur sa nuque et son odeur. La bГЄte baissa les cornes et Thor se prГ©para au choc.

Soudain, elle poussa un hurlement. Thor se retourna et vit qu’elle avait été projetée dans les airs. Stupéfait, il la suivit des yeux, sans comprendre ce qui se passait. La tête d’un énorme monstre vert apparut alors dans son champ de vision. La chose faisait la taille d’un dinosaure, près de trente mètres, et ses mâchoires laissaient entrevoir une rangée de dents aiguisées comme des rasoirs. Il portait la créature dans la gueule, comme si ce n’était rien, et renversa la tête pour l’avaler. Sa victime se tortillait entre ses dents. Il l’engloutit en trois grosses bouchées et se lécha les babines.

Tout autour de Thor, les créatures au pelage jaune s’éparpillaient pour échapper au monstre, mais celui-ci les chargea en balançant son immense queue, qui faucha Thor et ses compagnons au passage. Cependant, le monstre ne s’intéressa pas à eux et se lança à la poursuite des créatures au pelage jaune.

Thor Г©changea un regard avec ses compagnons, tous assis par terre, stupГ©faits.

Indra se leva et secoua la tГЄte.

– Ne vous inquiétez pas, dit-elle, le pire est à venir.




CHAPITRE HUIT


Kendrick traversa la cour ravagée de la haute Silesia, aux côtés de Srog, Brom, Kolk, Atme, Godfrey et d’une douzaine de soldats de l’Argent. Tous marchaient à pas lents, délibérément, les mains sur la tête en signe de reddition.

Le petit groupe s’avança entre les milliers de soldats impériaux, en direction de la silhouette de Andronicus qui semblait les attendre au seuil des murailles extérieures. Kendrick sentait les regards peser sur lui et la tension dans l’air. Ils étaient des milliers ici, dans la cour, mais on aurait pu entendre une aiguille tomber.

Une heure plus tôt, Kendrick avait crié à Andronicus qu’ils souhaitaient se rendre. Le groupe était ensuite monté, en prenant soin de ne montrer aucune arme alors qu’ils traversaient les rangs de l’armée ennemie. Le cœur de Kendrick battait à tout rompre devant ces visages hostiles et sa gorge était sèche.

Ils avaient répété leur plan. En apercevant à présent Andronicus, sa taille, son apparence échevelée et sauvage, Kendrick pria pour que leur stratagème fonctionne. Sinon, c’en était fini de leurs vies.

Ils marchaient et leurs éperons sonnaient. Enfin, l’un des généraux de Andronicus, une créature imposante à l’air renfrogné, fit un pas en avant et tendit brusquement la main pour frapper Kendrick au milieu de la poitrine. Ils furent stoppés à six mètres de Andronicus, sans doute par prudence. Les soldats étaient plus sages que Kendrick ne l’avait imaginé : il avait espéré s’approcher tout près de Andronicus, mais il était évident qu’on ne le laisserait pas faire. Le cœur de Kendrick se mit à battre plus fort. Pourvu que cette distance supplémentaire ne perturbe pas son plan !

Comme tous se tenaient debout, silencieux, Kendrick se racla la gorge.

– Nous sommes venus nous rendre au Grand Andronicus, annonça Kendrick d’une voix tonnante en tâchant d’avoir l’air la plus convaincant que possible, son regard plongé dans celui de Andronicus.

Celui-ci leva la main pour jouer avec les têtes réduites pendant à son cou et les toisa avec un rictus – ou peut-être était-ce un sourire.

– Nous acceptons vos termes, poursuivit Kendrick. Nous admettons la défaite.

Assis sur un Г©norme banc de pierre, Andronicus se pencha en avant pour les dГ©visager, un sourire en coin.

– Je savais que vous le feriez, dit-il d’une voix qui porta dans tout le campement. Où est la fille ?

Kendrick s’attendait à cette question.

– Nous sommes venus avec un contingent de nos plus grands seigneurs et officiers, répondit-il. Nous souhaitons d’abord vous adresser notre reddition. Quand nous aurons terminé, d’autres suivront, avec votre permission.

Ajouter « avec votre permission », cela rendait Kendrick plus convaincant dans son rôle. Il y avait de cela longtemps, un de ses conseillers militaires lui avait appris une extraordinaire leçon : face à un chef narcissique, flatte-lui l’ego. Un chef bien flatté pouvait commettre des erreurs grotesques.

Andronicus se renversa sur son banc, rГ©agissant Г  peine.

– Bien sûr, répondit-il. Si ce n’est pas le cas, vous seriez bien sots de venir.

Andronicus les dévisageait, comme cherchant à se décider. Il avait l’air de renifler l’entourloupe. Le cœur de Kendrick battait à tout rompre.

Enfin, au terme d’une longue attente, il se décida :

– Approchez et mettez un genou à terre, dit-il. Vous tous.

Les autres jetèrent un coup d’œil à Kendrick qui hocha la tête.

Tous firent un pas en avant et s’agenouillèrent devant Andronicus.

– Répétez après moi, dit le commandant. Nous, représentants de Silesia…

– Nous, représentants de Silesia…

– …capitulons devant le Grand Andronicus…

– …capitulons devant le Grand Andronicus…

– …et lui prêtons allégeance pour le reste de notre vie et au-delà…

– …et lui prêtons allégeance pour le reste de notre vie et au-delà…

– …et nous serons ses esclaves jusqu’à la fin de nos jours.

Kendrick eut du mal Г  prononcer ces derniers mots et avala sa salive avec difficultГ©, avant de les rГ©pГ©ter, mot pour motВ :

– …et nous serons ses esclaves jusqu’à la fin de nos jours.

Il en eut la nausée et son sang battit dans ses oreilles. Enfin, c’était terminé.

Un silence tendu suivit ces derniers mots et Andronicus sourit.

– Vous, les MacGils, vous êtes plus faibles que je ne le pensais, cingla-t-il. J’aurai beaucoup de plaisir à vous réduire en esclavage et à vous apprendre les traditions impériales. Maintenant, allez chercher la fille avant que je ne change d’avis et vous tue.

Agenouillé là, Kendrick vit soudain toute sa vie défiler devant ses yeux. Il savait que c’était un moment décisif de son existence. Si tout se passait comme prévu, il survivrait et raconterait l’histoire à ses enfants. Sinon, il serait bientôt mort. Ils savaient que les chances étaient contre eux mais il fallait tenter le coup. En son nom, au nom des MacGils et en l’honneur de Gwendolyn. C’était maintenant ou jamais.

D’un geste vif, Kendrick tendit la main dans son dos et dégaina le glaive dissimulé sous sa chemise. Il se dressa et la jeta de toutes ses forces.

– SILÉSIENS, À L’ATTAQUE !

L’épée de Kendrick tournoya dans les airs en direction de la poitrine de Andronicus. C’était un jet parfait et puissant, qui aurait pu tuer n’importe quel guerrier.

Mais Andronicus n’était pas n’importe quel guerrier. Kendrick se trouvait à quelques mètres et Andronicus fut un peu trop rapide. Il plongea et poussa un cri de douleur quand la lame effleura son bras, mais l’arme poursuivit sa route jusqu’à se planter dans l’estomac d’un général qui se trouvait derrière.

Le cri de Kendrick sema le chaos. Tous ses compagnons dégainèrent leurs armes cachées et décapitèrent les soldats qui se trouvaient à côté d’eux. Brom tira une dague de sa ceinture, fit un pas de côté et trancha la gorge d’un homme. Kolk saisit une fronde cachée sous son habit, l’arma d’un caillou et jeta le projectile qui s’abattit sur un archer juste avant que celui-ci ne décoche une flèche. Godfrey lança une dague. Il ne visait pas aussi bien que les autres et l’arme manqua sa cible, empalant à la place la jambe d’un jeune garçon.

Des cris s’élevèrent tout autour d’eux. L’attaque était véritablement inattendue.

Comme prévu, au même moment, de tous les côtés de la cour, des soldats silésiens surgirent des murs. Ils poussèrent un grand cri de guerre, les arcs prêts à tirer. Le ciel s’emplit d’une volée de flèches qui traversèrent la cour et fauchèrent des soldats de toutes parts. Soudain, les hommes de l’Empire ne surent plus où donner de la tête. Dans la panique, certains en vinrent à s’attaquer l’un l’autre.

Kendrick se rГ©jouit de voir que son plan fonctionnait Г  la perfection. Srog lui avait parlГ© des tunnels qui reliaient la citГ© basse Г  la citГ© haute, construits en cas de siГЁge pour crГ©er un Г©lГ©ment de surprise. Tous les soldats avaient attendu patiemment, en position, le signal de Kendrick.

Des milliers d’entre bondissaient maintenant de leurs cachettes, tirant avec une vitesse telle que l’Empire n’eut pas le temps de réagir. Kendrick chargea dans la mêlée, saisissant une épée sur le corps d’un soldat mort, et attaqua les hommes les plus proches, aussitôt épaulé par son ami Atme et quelques autres. En plein chaos, les soldats impériaux se mirent à courir dans tous les sens.




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